IA : régulation ou innovation?

par Bernard Attali |  publié le 12/02/2025

Laisser faire ou encadrer… L’opposition entre les deux politiques a quelque chose de caricatural. Tout dépend de quelle régulation on parle. Y a-t-il des autoroutes sans code de la route ?

Le vice-président américain JD Vance s'exprime lors du Sommet sur l'intelligence artificielle, au Grand Palais, le 11 février 2025. (Photo Ludovic MARIN / AFP)

Le récent sommet de Paris sur l’IA a été passionnant. À de nombreux points de vue. Il a permis notamment d’ouvrir le fameux débat sur l’opportunité – ou pas – de réguler cette nouvelle avancée technologique. À cet égard le discours du vice-président américain J.D. Vance, fut d’une rare franchise.

Pour caricaturer deux positions s’affrontent : pour les grandes plateformes numériques et pour les autorités américaines qui les soutiennent : la règlementation est a priori nuisible en ce qu’elle freine l’innovation. En gros : laissez mes géants du numérique en paix ! Pour les européens : ce progrès technologique aura un tel impact (éthique, social, politique…) qu’il doit être encadré. En gros : pas d’autoroute sans code de la route. Débat passionnant mais sans doute un peu trop binaire
Disons d’abord que les deux positions s’enracinent dans des cultures très différentes : la culture américaine (qui privilégie la liberté individuelle et le « business ») et la culture européenne (qui s’inquiète des risques et intègre d’autres valeurs que mercantiles).

La priorité américaine se comprend : le progrès, l’innovation ne supportent pas la bureaucratie. Mais la position européenne se justifie : pas de progrès sans sécurité juridique. Ensuite il faut s’entendre : on parle à tort de règlementation sans distinguer « hard law » et « soft law ». Pour dire les choses plus clairement il est possible d’encadrer une pratique sans la noyer sous un déluge de textes, notamment en établissant des normes, des « guide lines » libres qui finissent par orienter le comportement des acteurs. A noter au passage que le droit des brevets existe, a fait ses preuves… et est soutenu avec force par les grandes entreprises américaines.

Pourquoi ? Parce qu’à moyen terme, ce qui importe, c’est la confiance. Sur le long terme, l’innovation ne prospère que si les acteurs du développement savent qu’ils s’engagent sur un terrain balisé comportant des risques, certes, mais encadrés. Et les utilisateurs sont plus rassurés s’ils connaissent les règles du jeu. Je gage que l’on sortira de ce débat (règlementation / innovation) lorsqu’on évitera les positions a priori. Les européens doivent apprendre à réguler sans bureaucratie, et les Américains à innover en respectant le minimum de garde-fou qu’inspire l’éthique du vivre ensemble.

Au passage il faudra bien qu’un jour on se pose la question : quel est le vrai bilan énergétique de l’IA et… faut-il, là aussi, en rester au laisser-faire ? Il est passionnant d’observer que face à la brutalité américaine, la position européenne a été défendue par… le Premier ministre de l’Inde !

Bernard Attali

Editorialiste