Autriche : l’alerte brune

par Boris Enet |  publié le 10/01/2025

Le dirigeant du FPÖ, Herbert Kickl, est désormais chargé de constituer un gouvernement à Vienne. En position de force, le dirigeant nationaliste n’est plus la force d’appoint d’une éventuelle coalition, mais son fer de lance. Une première depuis la chute du nazisme et une leçon européenne.

Le chef du parti d'extrême droite autrichien FPÖ, Herbert Kickl, quitte le palais présidentiel de la Hofburg à Vienne, le 6 janvier 2025. (Photo de Joe Klamar / AFP)

Le beau Danube bleu, jadis célébré par Johann Strauss, s’enlaidit chaque jour un peu plus. Après la Hongrie, la Slovaquie, un autre pays traversé par le plus long fleuve européen tombe. Et encore, faudrait-il être certain de l’avenir de la Roumanie ou du résultat des élections allemandes du 23 février prochain. 

Surnommé le « Volkskanzler » – chancelier du peuple – dans une référence explicite à celui du IIIe Reich, le leader de l’extrême-droite autrichienne vient d’être désigné par le chef de l’État pour mener les négociations avec l’ÖVP, formation conservatrice en perte de vitesse, pilier des coalitions gouvernementales depuis 1987. Le vieux président écologiste, Alexander Van der Bellen, a dû s’y résoudre, à contre-cœur. Après trois mois de fastidieuses négociations conclues par un échec, la digue a rompu.

Malgré plusieurs dizaines de milliers de personnes devant le palais présidentiel de Hofburg, clamant leur inquiétude autant que leur colère, Vienne la rouge n’est plus qu’un lointain souvenir en dépit de la résistance municipale. Le comité international d’Auschwitz proteste et constate la banalité du mal dans une indifférence assez générale. Rendu ordinaire par des coalitions revendiquées entre la droite et son extrême dans 5 gouvernements régionaux sur 9, le FPÖ est devenu un non évènement pour une partie des 9 millions d’autrichiens. 

Ici, nul procédé de dédiabolisation, feint ou constaté. Le vaccin anti-covid ? « Une vaste expérience d’ingénierie génétique dont l’issue est incertaine ». Le nazisme ? Kickl ne saisit pas pourquoi « une unité comme la Waffen-SS, devrait être déclarée collectivement coupable ». Un verbatim vomitif qui fait davantage penser aux identitaires les plus belliqueux des années 80, qu’au RN relooké hexagonal. Si l’on y ajoute le silence éloquent sur l’Ukraine et le projet de « remigration » jamais démenti, envisageant déchéance de nationalité et expulsion des autrichiens d’origine extra-européenne, l’affaire est sérieuse.

Voilà ce qu’il coûte d’échouer au compromis dans une situation tragique avec les forces de l’arc démocratique. Arrivée en tête avec 29% des suffrages en octobre, l’extrême-droite autrichienne cueille désormais le pouvoir comme un fruit mûr, en concubinage. Puisse Paris l’entendre, loin des pathologiques obsessions de Jean-Luc Mélenchon à défaire la Ve république et son chef, dénonçant les éternels sociaux-traîtres. 

Vienne comme Berlin savent mieux ce qu’il en résulte que l’ancien étudiant de Franche-Comté, amnésique de ses leçons de jeunesse. Attaqué sur sa façade atlantique par un mauvais vent venu d’Amérique, cerné au-delà des Alpes par Meloni célébrant le « génie » d’Elon Musk, obstrué par le flot des contagions brunes du Danube, l’UE s’embourbe sans réagir.

Sylvie Pierre-Brossolette rappelait dans nos colonnes, la coupable hésitation d’une commission européenne pétrifiée devant la trumpisation des réseaux sociaux vecteurs du national-populisme. Assumer notre identité européenne et les valeurs démocratiques qui la fondent, ne sont plus une option face à des adversaires déterminés qui ne jurent que par le rapport de force.

Marine Le Pen, Herbert Kickl, Giorgia Meloni, Alice Weidel, Jimmie Akesson maîtrisent la dialectique entre leur irrésistible poussée nationale et l’affaiblissement supranational européen qui en découle. Prétendre les supplanter sans défendre l’Europe, comme le clament les formations populistes issues de la gauche allemande ou française est une impasse mortelle. La probabilité d’une implosion européenne n’est plus une plaisanterie. Stopper la folle ascension des nationalistes en son sein et la splendeur de Vienne, ne peuvent faire l’économie d’une défense de sa souveraineté technologique, de ses acquis communautaires et de ses frontières. Qu’elles passent par l’Ukraine dont l’adhésion est en marche ou par le Danemark via le Groenland et son statut d’association, il est temps de sonner l’alarme sans attendre la fonte des glaces.

Boris Enet