Inéligibilité : la botte secrète de Marine Le Pen

par Sylvie Pierre-Brossolette |  publié le 12/12/2024

L’exécution provisoire de son inéligibilité, demandée par les procureurs, pourrait se heurter au mur du Conseil constitutionnel.

Marine Le Pen part après une audience dans son procès pour soupçons de détournement de fonds publics européens, au palais de justice de Paris, le 27 novembre 2024. (Photo Grégoire CAMPIONE / AFP)

Elle avait paru sonnée, abasourdie par des réquisitions sévères et d’application immédiate. En ce sombre 13 novembre, la perspective d’une condamnation à l’inéligibilité assortie d’exécution provisoire arrachait ce cri à la candidate annoncée du RN à l’Élysée : « C’est ma mort politique que l’on veut !» Rien n’est pourtant joué. Et Marine le Pen le sait sans doute très bien.

D’abord, le 31 mars, date prévue pour le jugement dans le procès qui la vise, les magistrats du siège peuvent décider de ne pas suivre leurs collègues du parquet, en n’assortissant pas leur probable condamnation d’une mesure d’exécution provisoire. De nombreux observateurs politiques, comme beaucoup de juristes, pensent que les juges du tribunal hésiteront à prendre la responsabilité de priver la dirigeante du RN de sa candidature à la présidentielle.

D’autant plus qu’elle pourrait sortir ensuite une botte secrète, en contestant juridiquement la disposition qui lui barrerait la route de l’Élysée. Il lui est en effet possible de déposer une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) pour dénoncer l’usage fait contre elle de l’exécution provisoire. Elle pourrait le faire dès maintenant dans une « note en délibéré » rédigée par ses avocats à l’intention des juges. Mais elle préfère sans doute attendre de voir si c’est utile. Pour mieux crier victoire si cela ne l’était pas.

Si une QPC s’avérait finalement nécessaire, elle suivrait son parcours habituel. Les juges doivent considérer le recours comme sérieux, puis ils l’envoient à la Cour de Cassation pour examen. Si, à leur tour, les éminences du Quai de l’Horloge pensent qu’il y a matière à trancher, elles transfèrent la requête aux neuf sages du Palais Royal. Nul doute que sur pareille question, mettant en jeu le sort d’une candidate importante, le cas soulevé sera jugé digne d’être examiné. L’ensemble de la procédure prend environ six mois.

La QPC pourrait s’appuyer sur des précédents que le Conseil constitutionnel a déjà eu à connaître. Il a été amené à dévoiler sa position sur le principe de l’exécution provisoire, non pas à l’occasion d’une QPC, mais au détour d’une requête du garde des Sceaux. Ce dernier est en effet obligé de demander aux neuf sages de prononcer la déchéance d’un parlementaire quand une telle peine est prononcée contre lui.

Or, à deux reprises, pour Gaston Flosse, comme pour Jean-Noël Guérini, le ministre de la Justice s’est fait renvoyer dans ses buts au motif que le jugement n’était pas définitif. Dans le cas de Jean-Noël Guérini, qui avait été déchu de son mandat de sénateur avec exécution provisoire par le tribunal judiciaire de Marseille en mai 2021, le Conseil constitutionnel s’est notamment appuyé sur l’article 506 du code de procédure pénale, citant ce passage : « Il est sursis à exécution du jugement du tribunal judiciaire pendant les délais et durant l’instance d’appel ». Par décision du 23 novembre 2021, la requête du Garde des Sceaux est rejetée, « en l’absence de condamnation définitive à ce jour ».

Traduction : dans ce cas, le principe de l’exécution provisoire ne tient pas la route, il faut attendre l’issue des appels possibles avant de priver un élu de son droit de siéger. S’il en est ainsi pour son droit de ne pas être déchu de son mandat, il semble logique que le Conseil constitutionnel ait le même raisonnement pour le droit de se présenter à une élection. Avant de déclarer une personne inéligible, il faudrait épuiser les voies de recours.

Si une QPC lui est présentée posant la question, les Sages statueraient probablement en ce sens, selon de grands constitutionnalistes consultés par nos soins. Par souci de cohérence, et parce que l’idée d’exécution provisoire heurte un principe général du droit : la possibilité d’un appel d’une décision judiciaire. Les exceptions au double degré de juridiction doivent rester rares et être solidement motivées. Les risques de récidive de Marine Le Pen étant limités (elle n’est plus députée européenne), l’exécution provisoire pourrait ne pas se justifier.

L’avocate qu’elle est attend son heure. En tacticienne, elle commence par jouer les victimes d’une justice politique. Avant, espère-t-elle, de triompher en faisant reculer les juges. Ou même de faire avancer le droit. Un comble !

Sylvie Pierre-Brossolette

Sylvie Pierre-Brossolette

Chroniqueuse