Inquiétant Bayrou

par Laurent Joffrin |  publié le 23/12/2024

Composant son équipe, François Bayrou a laissé transparaître quelques messages ténus adressés aux socialistes. Mais à considérer le centre de gravité de son gouvernement, l’inquiétude grandit.

Le gouvernement Bayrou : Éducation, Elisabeth Borne; Outre-mer, Manuel Valls; Justice, Gérald Darmanin; intérieur, Bruno Retailleau; Travail, Santé, Catherine Vautrin; Économie, Eric Lombard; Armées, Sébastien Lecornu; Culture, Rachida Dati; Territoire, décentralisation, François Rebsamen; Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot; Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher; Agriculture Annie Genevard; Fonction publique Laurent Marcangeli; Sports, Jeunesse, Marie Barsacq. (Photo by AFP)

« Ce n’est pas un gouvernement, c’est une provocation », dit Olivier Faure. Il exagère. Il est d’abord difficile de condamner une équipe avant qu’elle ait décidé quoi que ce soit ; il y a là, par définition, une forme de procès d’intention. Ce gouvernement Bayrou, ensuite, est-il décidé à refuser toute concession aux socialistes sur les deux dossiers brûlants du budget et de la réforme des retraites ? On ne saurait le dire avec certitude. Après tout, aussi homéopathique soit-elle, la présence de quelques personnalités issues de la gauche à des postes qui ne sont pas secondaires laisse entrevoir un rayon d’espoir (1).

On pense surtout à la nomination à Bercy d’Éric Lombard, président de la Caisse des Dépôts, qui n’est pas seulement un technocrate : chargé d’un secteur décisif, l’homme est ouvert, de tempérament progressiste et bien au fait, par ses fonctions, des difficultés qui assaillent l’économie française, menacée d’un fort ralentissement porteur de licenciements et de fermetures d’usines. Pas précisément un ultralibéral. Ne désespérons pas tout de suite…

Mais pour le reste, la nouvelle équipe, hormis l’expérience plus affirmée des impétrants (Retailleau, Darmanin, Rebsamen, Borne, Berger, Lecornu…), conserve le même centre de gravité que l’ancienne. Un centre qui louche fortement à droite. Il y a d’abord le péché originel : la reddition de Bayrou et de Macron devant l’oukase lepéniste. Comme il le dit lui-même avec franchise, Xavier Bertrand a bien été écarté du ministère de la Justice sur ordre de Marine Le Pen. Bayrou avait promis de ne plus dépendre du RN : il vient de prouver le contraire. Il y a ensuite la garde de fer régalienne formée par le couple Retailleau-Darmanin, l’un à Beauvau et l’autre place Vendôme. La demande de fermeté présentée par LR (le plus petit parti de la coalition) est entièrement satisfaite.

Il y a enfin cette continuité macronienne bien affirmée : dans de nombreux postes-clés, ce sont des fidèles du président qui tiennent le manche, alors même que leur patron a été désavoué dans deux élections, privé de sa prédominance institutionnelle et relégué au fond des sondages de popularité. Macron battu, mais Macron têtu, qui peut se frotter les mains et, surtout, espérer que son sacro-saint bilan sera préservé.

Ce qui débouche sur l’interrogation essentielle : oui ou non Bayrou le centriste, celui qui a naguère voté deux fois pour la gauche contre son camp d’origine, est-il décidé à éviter la censure, en satisfaisant en partie, au moins, les demandes très claires et au fond raisonnables, présentées par le PS. Tout est là : pour durer ce nouveau gouvernement doit s’assurer que les socialistes ne seront pas acculés, faute de concessions réelles, à voter la censure que les extrêmes ne manqueront pas de présenter un jour ou l’autre, maintenant ou un peu plus tard.

C’est-à-dire à donner raison, in fine, à Jean-Luc Mélenchon qui n’a d’autre but que de faire partir le président pour lancer son duel désastreux avec Marine Le Pen. Tel est le fléau qui menace le pays. Tout n’est pas encore perdu. Mais les signes qui pourraient nous rassurer dans les équilibres bancals adoptés par François Bayrou sont décidément ténus, pour ne pas dire microscopiques.

(1) Voir l’article de Valérie Lecasble dans LeJournal.info

Laurent Joffrin