Intelligence artificielle : le règne de la stupidité
L’irruption de cette nouvelle technologie suscite l’habituelle et caricaturale opposition entre technophiles et technophobes. Peut-être serait-il plus utile de recourir, pour juger de l’intelligence artificielle, à l’intelligence humaine…
Ballet réglé, conflit ordonné d’avance, dispute balisée et sans surprise. Les uns soulignent les immenses promesses de progrès que recèle l’intelligence artificielle, qui peut soutenir la médecine, aider la recherche, diffuser le savoir, faciliter la vie quotidienne, accroître la productivité du travail et donc la création de richesses pour tous. Les autres dénoncent un nouveau sortilège capitaliste, qui n’aurait d’autre fin que de gaver les actionnaires, manipuler les foules, faciliter la répression policière et soutenir les ambitions pernicieuses du couple Trump-Musk.
Deux statues immobiles qui ne sont que les chiens de faïence de la stupidité. Marx avait raison : la technique n’est pas une religion, ni une malédiction. Elle ne se comprend qu’à la lumière d’un rapport social, elle ne se juge qu’à l’aune du progrès humain. Il est inutile d’exiger son interruption, comme il était inutile de casser les machines qui menaçaient l’emploi des ouvriers du textile, mais qui abaissaient le prix de vente des vêtements. Les Canuts avaient raison, qui préservaient les machines à tisser mais réclamaient leur juste part.
La social-démocratie renaissante a son mot à dire dans ce débat : il ne s’agit pas de se prononcer pour ou contre l’IA, il s’agit de la mettre au service de l’humanité. Ceux qui la magnifient dans précautions – les ultra-libéraux – cherchent surtout à instaurer leur domination politique et sociale ; ceux qui la rejettent sans réfléchir – la gauche radicale et quelques épigones – sacrifient une avancée économique et sociale sur l’autel de leurs bonnes intentions. Autrement dit, il s’agit d’une question politique, au sens noble du terme. Résumons : la version américaine de l’IA, libertarienne, s’en remet à la soi-disant bienfaisance naturelle du marché ; la version européenne, d’inspiration social-démocrate, favorise l’innovation, l’investissement, la productivité, mais prévoit simultanément les règles d’ordre public qui en maîtrisent les effets nuisibles.
Ce qu’on aurait dû faire, notons-le, à la naissance d’Internet : encourager le talent des ingénieurs, des développeurs et des entrepreneurs, mais anticiper les excès des réseaux, vecteurs de fake-news, de haine en ligne, d’abêtissement collectif et d’illégalités innombrables, alors même que la technologie était un extraordinaire outil de démocratisation du savoir et de progrès économique. Il en va de même de l’IA : aux entrepreneurs l’initiative et le développement ; aux élus du peuple l’indispensable régulation. Hors de ces deux vérités, nous assisterons à l’imbécile affrontement des ravis de la technique et des obscurantistes antiscience.