Intelligence artificielle : l’Europe se réveille
Pour combler le retard de l’Union, la Commission européenne lance un vaste programme en faveur des hautes technologies. Au passage, elle abandonne certains de ses dogmes libéraux.
Combien, le ticket d’entrée dans l’intelligence artificielle ? L’Europe relève le défi, légitimée par … un chinois. En présentant un « chatbot » ayant coûté quelque mille fois moins cher que ses concurrents américains, le chinois DeepSeek fait la démonstration, en creux, que l’Europe peut combler son retard pour relever le défi de l’IA.
Aujourd’hui, les Etats-Unis creusent l’écart grâce aux tombereaux de milliards qu’ils déversent pour soutenir les innovations et les industrialiser, comme ils le font avec le programme Stargate. Mais d’autres modèles sont possibles : DeepSeek le prouve. L’Union européenne peut bâtir le sien. Elle sait former des ingénieurs de haut niveau (de nombreux talents de ta tech américaine viennent des pays de l’Union), elle possède un grand et riche marché, elle connaît déjà des réussites. Encore faut-il libérer l’esprit d’innovation et lui donner les moyens de prospérer.
Pour conjurer le sort qui voudrait que l’UE soit « toujours à la traîne par rapport aux Etats-Unis et à la Chine en matière de croissance et de productivité », la Présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen a présenté le 29 janvier une « boussole de compétitivité » pour mobiliser énergies et capitaux. Son programme, largement inspiré du rapport Draghi, se focalise sur un allègement des charges administratives et des obligations de déclarations « d’au moins 25% et même 35% pour les PME », « tout en maintenant le cap sur les objectifs du pacte vert », précise-t-elle pour répondre à ceux qui lui reprochent de brader ses engagements environnementaux.
Elle prévoit de créer un nouveau statut européen destiné à accueillir les entreprises innovantes, elle annonce la création de nouveaux produits d’épargne et d’investissement, à l’échelle européenne afin que ces entreprises innovantes puissent procéder aux levées de fonds nécessaires sans aller les chercher outre-Atlantique. Il est question d’un Fonds européen pour la compétitivité qui serait alimenté par une Union européenne de l’épargne. Avec, comme cible archi-prioritaire l’intelligence artificielle, les supercalculateurs… et les ordinateurs quantiques. L’espace et les biotechnologies y auraient aussi accès.
Si l’Europe dispose des talents, elle a besoin de trouver le carburant. La Présidente de la Commission compte le trouver en mobilisant l’épargne privée à l’échelle des 27 pays membres. Pour faire bonne mesure, elle propose de réviser les règles qui gouvernent les marchés publics pour accorder une préférence européenne à certains secteurs stratégiques. Ce qui est une demande de la France et s’apparente à une réponse au protectionnisme américain. L’Europe deviendrait-elle moins passive?
Plus radicalement, Ursula Von der Leyen propose de revoir la réglementation sur les concentrations afin de favoriser l’émergence de géants européens, alors que jusqu’à présent, les règles de la concurrence – qui incombent à la Commission – ont entravé de nombreux processus de fusion. Il s’agit là d’une réorientation profonde de tables de la loi dictée par la nécessité de constituer des champions européens suffisamment musclés pour soutenir l’innovation dans l’UE, plutôt que de s’en remettre uniquement à des géants américains ou chinois. Pour la Commission, gendarme de la concurrence, souvent critiquée pour son dogmatisme, il s’agit d’un véritable aggiornamento. À condition qu’il ne reste pas lettre morte.