Internet : stop au Far West !
Arrestation d’un responsable, fermeture de sites, procédures en tous genres : les États intensifient leur lutte contre la diffusion de contenus litigieux. Le secteur numérique se rebiffe.
Dans la guerre pour contrôler le numérique, l’Europe vient de perdre une bataille. Le départ de Bruxelles de Thierry Breton est en effet un mauvais signal. Pas seulement parce que la France a plié devant les exigences d’Ursula von der Leyen. Mais parce que l’ex-commissaire était en charge du numérique et qu’il avait marqué des points importants dans la régulation d’un secteur tout puissant.
La dirigeante allemande semble avoir été sensible aux arguments américains en faveur de la liberté des plateformes. L’ancien ministre des Finances était devenu leur bête noire. Il avait l’ambition déclarée de mettre de l’ordre dans le « Far West numérique » qui prévalait en Europe. Il s’est même permis de rappeler à l’ordre un des grands patrons de la tech, Elon Musk, exigeant que son réseau social X respecte les règles européennes en matière de régulation des contenus à l’occasion de la campagne présidentielle américaine. Exit Breton, soulagement chez les tout-puissants de la Toile.
Répit de courte durée ? La prise de conscience par les États des effets pervers d’une trop grande liberté laissée à des organisations mondiales opérant en toute impunité a conduit à l’adoption d’un début de régulation. Notamment grâce aux directives de Bruxelles concernant le numérique. Le DSA (Digital Service Act), entré complètement en vigueur le 17 février 2024, dispose que ce qui est illégal hors ligne l’est aussi en ligne. Les législations applicables dans chaque pays le sont donc désormais aux contenus diffusés par les plateformes. Des règles responsabilisent les diffuseurs de contenus illicites ou préjudiciables comme les attaques racistes, images pédopornographiques, vente de drogues ou contrefaçon. Plus question pour les plateformes de se réfugier derrière le principe de liberté totale du net.
Reste à mettre en application ces belles intentions. Les sanctions prévues en cas de manquement vont jusqu’à 6% du chiffre d’affaires des géants concernés, et prévoient même l’interdiction d’activité en cas de récidive grave. Pour l’instant, les diffuseurs concernés regimbent à mettre en place les dispositifs (exigés par le DSA) destinés à signaler puis retirer les contenus litigieux. A commencer par tout ce qui concerne le contrôle d’âge pour protéger les mineurs ou l’élimination des scènes illégales de torture dans la pornographie. Certaines « Big tech » se renvoient même la responsabilité de la surveillance, Meta jugeant les magasins d’application Google et Apple plus adaptées que ses sites (Facebook, Instagram…) pour vérifier la date de naissance des consommateurs. Un exemple parmi d’autres de la mauvaise volonté des hébergeurs qui résistent à l’idée de devenir des éditeurs, avec les responsabilités que cela suppose.
Affolés par les conséquences de la diffusion incontrôlée de contenus délétères, certains gouvernements ripostent par des décisions d’une fermeté nouvelle. La France a interdit la diffusion de Tik Tok en Nouvelle Calédonie pendant les troubles violents qui ont saisi le territoire. En Australie, le premier ministre veut limiter l’accès du net aux mineurs : un projet de loi annoncé par Anthony Albanese ce 10 septembre va fixer entre 14 et 16 ans l’âge minimal pour utiliser les réseaux sociaux. En Corée, Séoul réagit à une déferlante de fausses vidéos pornographiques et ouvre une procédure judiciaire contre Telegram, dans la foulée de l’arrestation par la France de son fondateur, Pavel Dourov, à l’aéroport du Bourget le 24 août dernier. Un geste lourd. Les autorités françaises visent en effet pour la première fois la responsabilité personnelle d’un patron de la tech, accusé de « complicité dans la mise à disposition et l’administration d’une plateforme qui a permis des transactions illicites, la diffusion d’images pédopornographiques ou le trafic organisé ». Rappelons que la Place Beauvau a enfin fait fermer le site Coco, qui servait à Dominique Pélicot pour rabattre ses « co-violeurs », grâce à l’adoption d’une loi d’orientation du ministère de l’Intérieur, dite Lopmi, en 2023.
Quand on veut, on peut, donc. Il n’y a aucune raison qu’Internet échappe aux lois qui régissent les autres moyens de communication comme la presse ou l’audiovisuel. Et la spécificité du secteur numérique, supposément insaisissable par son gigantisme, ne semble pas empêcher la police d’opérer efficacement contre les contenus nourrissant le terrorisme. Les nouveaux moyens techniques, comme l’IA, et de la détermination politique, peuvent venir à bout des turpitudes du Far West. On attend les shérifs.