Iran : constat d’un Européen inquiet

par Malik Henni |  publié le 16/06/2025

Alors que le gouvernement israélien étend la guerre à l’Iran, la question de l’intérêt majeur des Européens est absente du débat public. A la place, le narratif belliciste sature les ondes et l’Europe est comme un poulet sans tête.

Les systèmes de défense aérienne israéliens sont activés pour intercepter les missiles iraniens au-dessus de Tel-Aviv, lors d'un nouveau tir de roquettes iraniennes, le 16 juin 2025. L'armée israélienne a annoncé tôt le 16 juin qu'elle attaquait des sites de missiles sol-sol en Iran. (Photo Jalaa MAREY / AFP)

Un chef de gouvernement d’extrême-droite messianique, sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour Internationale de Justice pour crime de guerre et crime contre l’humanité, a décidé de bombarder une dictature théocratique qui déstabilise la région. Dit autrement, un Etat doté de l’arme atomique non-signataire du Traité de Non-Prolifération (TNP) a frappé un Etat signataire et non doté… Quelque que soit la façon dont on le présente, les bombardements israéliens contre des militaires et des scientifiques iraniens commencés le 12 juin dernier font entrer le conflit qui embrase la région depuis le 7 octobre 2023 dans un grand inconnu.

Quels sont les buts de guerre de Netanyahou ? Se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible, certes, mais aussi mettre fin à la menace nucléaire iranienne, dont un récent rapport de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) laissait entrevoir les progrès et favoriser enfin la chute de la dictature des mollahs. Comme une redite de 2003, les appels à l’intervention se multiplient pour faire tomber un régime abject qui a l’oppression pour seul moyen d’assurer son unique objectif : sa survie. Notons cependant que les États-Unis demeurent prudents et que Donald Trump a appelé Vladimir Poutine pour lui faire part de sa volonté de désescalade, comme il l’a annoncé sur son réseau social.

Mais dernière ces objectifs louables sur le papier, se cache une logique crue qui rend le récit d’un Netanyahou libérateur des Iraniens ridicule. Imaginons : la dictature tombe, les femmes iraniennes peuvent enlever leur voile, les anciens bourreaux sont châtiés et des élections portent au pouvoir un parti nationaliste (lequel ?) respectueux de l’ordre international. Qui peut croire une seconde que le soutien à la cause palestinienne disparaîtrait des esprits iraniens ? De même, l’intégration plus avancée du nouvel Iran dans la chaîne de valeur mondiale rendrait sa prospérité menaçante pour Israël : les usines Renault, IBM, Bayer qui ont dû quitter le pays après le retrait américain de l’accord sur le nucléaire en 2018 reviendront et enrichiront les 90 millions d’Iraniens. Israël aurait alors non seulement perdu son statut de seule démocratie dans la région, qui lui garantit un rapport privilégié avec les Occidentaux, mais aurait aussi un concurrent économique sérieux à ses portes, avec toujours d’importantes réserves de pétrole.

Et si le plan israélien n’était pas de libérer l’Iran, mais plutôt d’en faire une nouvelle Libye ? Comme pour l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie, ou le régime de Kadhafi, la balkanisation de ce pays de deux millions de kilomètres carrés trotte aussi dans l’esprit du gouvernement messianique des Ben Gvir et Smotrich.

Plutôt que d’afficher un soutien immodéré aux aventures israéliennes dans la région, les états européens devraient plutôt penser à leur propre intérêt. Un Iran failli, c’est l’assurance de l’arrivée de millions de réfugiés chez nous et en Turquie, ainsi que le développement quasi certain du terrorisme déclenché par les reliquats de la République islamique. Sans parler de l’explosion des prix du baril de pétrole, qui enrichira à coup sûr les États-Unis, mais aussi la Russie, le Venezuela et d’autres régimes peu recommandables, tout en appauvrissant durablement le Vieux Continent. Une seule solution demeure : le retour à un accord comparable au JCPOA de 2015, sans que celui-ci ne puisse être déchiré d’un coup par Donald Trump.

Malik Henni