Iran : l’illusion de la force
Dans le conflit avec le régime des mollahs, l’armée israélienne fait preuve d’une supériorité écrasante. Mais est-ce la garantie d’un avenir meilleur pour la région ?

À ce stade de la guerre, c’est le moment de rappeler la maxime classique de Talleyrand, empreinte d’une profonde sagesse : « On peut tout faire avec ces baïonnettes, sauf s’asseoir dessus. » Le ministre du Premier consul voulait avertir son maître, qui comptait sur ses éclatantes victoires pour façonner une Europe nouvelle dominée par la France, qu’il n’est de stabilité internationale qu’appuyée sur des traités de bonne foi, et non sur le seul usage de la force. Trop confiant dans son génie militaire, Napoléon oublia ce conseil, ce qui entraîna en trois ans, de 1812 à 1815, la chute de celui qui avait jusque-là vaincu tous ses ennemis du continent.
Mutatis mutandis, Benyamin Netanyahou se trouve placé devant le même défi. Personne ne pleurera sur le sort du régime iranien, l’un des pires de la planète, qui ne se contente pas d’opprimer son peuple, mais s’ingénie depuis l’origine à attaquer par tous moyens Israël, à menacer ses voisins et à contrecarrer les intérêts occidentaux. Mais la supériorité écrasante dont fait preuve l’armée israélienne laisse entière la question de l’équilibre futur de la région.
Le Premier ministre israélien espère faire tomber la dictature des mollahs en affaiblissant sa capacité militaire et en désorganisant par l’assassinat ciblé son appareil répressif et politique. Mais à supposer qu’il y parvienne, il se retrouva par définition dans l’inconnu. Qui dirigera l’Iran après une éventuelle chute du régime ? Celle-ci, qui n’a rien d’acquis, débouchera-t-elle sur l’avènement d’un pouvoir plus démocratique et pacifique ? Ou bien la résistance de l’islamisme chiite, force politique qui restera redoutable, précipitera-t-elle le pays dans la guerre civile ? Au vrai, nul n’en sait rien et les précédents d’Irak et d’Afghanistan n’incitent pas à l’optimisme.
De même, la réoccupation de Gaza et la colonisation totale de la Cisjordanie, si tant est qu’elles entrent dans le domaine du possible, laisseront entière la question palestinienne, avec le risque afférent de voir reprendre à plus ou moins brève échéance les attaques terroristes.
Et si le régime iranien survit, il cherchera évidemment à assurer mieux sa sécurité pour l’avenir. Beaucoup de spécialistes redoutent que les mollahs, le dos au mur, retirent leur pays du Traité de non-prolifération nucléaire et poussent les feux vers la construction secrète de l’arme nucléaire. Auquel cas serait enclenché l’engrenage d’opérations militaires sans fin destinées à les en empêcher. Et si ces opérations échouent au bout du compte, la menace d’un Iran détenant l’arme nucléaire conduira immanquablement ses voisins, la Turquie, l’Arabie saoudite et quelques autres, à se doter à leur tour d’une dissuasion atomique. Dans cette hypothèse, la « poudrière du Proche-Orient » se changerait en menace mortelle pour l’humanité entière.
Renaud Girard, analyste du Figaro, rappelle sagement que la sécurité d’un pays est mieux fondée quand il entretient avec ses voisins des relations pacifiques. La supériorité militaire est certes une garantie. Mais elle ne saurait établir la stabilité à long terme. Le bon sens commande donc qu’au fracas des armes succède aussi vite que possible la négociation diplomatique. Après tout, on risque de se rendre compte que les visites des experts de l’Agence internationale de l’énergie sont un moyen plus sûr d’atteindre les centrifugeuses iraniennes que le bombardement de ces installations profondément enfouies sous terre. À force de refuser cette perspective qui commande l’avenir la région, Israël risque de devoir s’asseoir longtemps sur ses propres baïonnettes. Une situation, on le devine, qui lui sera hautement inconfortable.