Islamisme : « un rapport instrumentalisé »

par Malik Henni |  publié le 28/05/2025

Pour Nicolas Cadène, ancien rapporteur de l’Observatoire de la laïcité (*), le travail du ministère de l’Intérieur, parfois peu rigoureux, a été mis au service d’une vision partisane.

Rapport sur les Frères musulmans: Bruno Retailleau dévoile son plan pour lutter contre l'islamisme. (capture d'écran ©BFM TV)

Le nouveau rapport du ministère de l’Intérieur sur l’entrisme des Frères musulmans en France a été particulièrement commenté. Que pensez-vous de la méthodologie utilisée ?

N.C. : Ce rapport n’est pas très rigoureux : les sources sont insuffisantes, certains experts manquent à l’appel, et la qualité des différentes parties est inégale – sans doute le reflet de la qualité variable des notes issues des renseignements territoriaux. On y décèle un biais politique évident et de nombreuses approximations. C’est dommage, d’autant plus que le rapport publié l’an dernier par l’IHEMI sur la radicalisation islamiste dans le sport était, lui, bien plus rigoureux et rédigé dans une langue universitaire. Il ne faisait d’ailleurs pas état d’un entrisme particulier, même s’il ne niait pas certains problèmes.

Le rapport formule quelques recommandations. Sont-elles pertinentes ? Que pourrait proposer la gauche pour ne pas être accusée d’angélisme, comme c’est souvent le cas sur ces sujets ?

N.C. : Il y a en réalité très peu de recommandations dans ce rapport, et celles qui s’y trouvent ne sont pas nouvelles. Certaines peuvent être reprises, comme le développement de l’islamologie à l’université ou le renforcement des aumôneries musulmanes dans les prisons et les hôpitaux. Des réformes étaient d’ailleurs prévues par le Bureau central des cultes du ministère de l’Intérieur, mais elles semblent restées lettre morte. Il en va de même pour le renforcement de la formation à la laïcité, bien que certaines formations actuelles ne soient pas conformes au droit. Les services de renseignement, quant à eux, gagneraient à être mieux formés aux questions liées au fait religieux – les niveaux de formation étant très inégaux sur ce point.

Un sujet en particulier mériterait une réforme : celui de l’inhumation des croyants musulmans en France, qui reste aujourd’hui assez complexe. Cela concerne d’ailleurs aussi les pratiques religieuses juives. Mais toutes ces propositions figuraient déjà dans les recommandations de l’Observatoire de la laïcité, il y a plus de cinq ans !

Sur le fond, concernant l’entrisme des Frères musulmans, diriez-vous que le rapport identifie correctement la menace ou qu’il a tendance à l’exagérer ?

N.C. : Les réactions me semblent, en tout cas, largement exagérées. Je suis troublé par l’instrumentalisation de ce rapport, utilisé pour justifier des mesures qui n’y figurent même pas et qui n’ont guère de sens. Oui, il existe un phénomène d’entrisme, ce n’est pas nouveau, on le sait. Mais le rapport n’apporte rien de véritablement inédit. Les réactions de certains médias ou personnalités sont donc assez étonnantes : on n’y apprend rien qu’on ne savait déjà. Je ne le nie pas, des ingérences existent, c’est une évidence, mais encore une fois, rien de neuf. Beaucoup de choses pourraient déjà être mises en œuvre.

(*) Ancien rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité – organe rattaché au Premier ministre de 2013 à 2021, présidé par le mitterrandien Jean-Louis Bianco – Nicolas Cadène est spécialiste de ces questions. Longtemps encarté au PS, il a été candidat malheureux de la NUPES et du Nouveau Front populaire (NFP) sous l’étiquette EELV dans le Gard lors des deux dernières élections législatives.

Malik Henni