Islander, un cauchemar qui nous ressemble

par Alfred de Montesquiou |  publié le 28/02/2025

Dystopie d’un monde où la guerre et le réchauffement climatique auraient transformé les Européens en migrants, refoulés sur les côtes des terres d’asile, le récit dérange comme un miroir déformant.

"Islander", de Caryl Ferey et Corentin Rouge

Imaginons un futur proche qui nous ressemble, où les exilés et autres réfugiés climatiques ne sont plus des Afghans ou des Maliens, mais des Français. Entassés derrière les barbelés des camps de la mer du Nord, menacés par des escouades de flics en carapace de CRS et les crocs des chiens policiers, ils se ruent désespérément vers les rares navires de passeurs qui permettent de rallier les zones du nord encore épargnées, comme l’Ecosse ou l’Islande.

Un univers parallèle de misère et de violence où les Européens passent du statut de nantis à celui de crevards, de chasseurs à gibier, poursuivis par les milices d’extrême droite…  Une fiction qui dérange comme un miroir déformant, pour raconter en creux nos propres manières d’accueillir les populations du Sud échouant aujourd’hui sur nos rives. C’est la proposition acérée d’Islander, premier opus d’une série portée par le dessin diablement efficace de Corentin Rouge.

Au scénario, on retrouve Caryl Ferey, le génial auteur de polards gauchistes converti à la bande dessinée pour raconter à sa manière le monde des opprimés qui (sur) peuplent la planète. Au-delà de la dystopie sociale, Ferey s’attache ici à convoquer les registres du roman d’aventure, partant du principe que son scénario de BD aurait aussi bien pu être la trame d’un des thrillers qu’il rédigeait auparavant. C’est ainsi la trame de plusieurs récits qui s’entrecroisent au fil de l’album, tandis que le périple du professeur Zizek et de sa jeune protégée, Livia, se transforme en cauchemar sur les côtes d’Islande, où se mêlent persécutions administratives, xénophobie et exploitation d’êtres humains. Il reste deux tomes à cette trilogie, qu’on a hâte de lire pour voir si un peu d’humanité pourra encore l’emporter, malgré tout.

Islander, Tome 1- L’Exil, de Caryl Ferey et Corentin Rouge, éditions Glénat, 158 pages, 25€

Consulter les planches de la BD des pages 4-5, de la page 6, de la page 7, de la page 8, de la page 9, de la page 10, de la page 11, de la page 12, de la page13, de la page 14, de la page 15, de la page 16, de la page 75, des pages 100-101

Alfred de Montesquiou