Israël et la loi du Talion

par Bernard Attali |  publié le 08/05/2025

Pour justifier les événements de Gaza, la droite israélienne aime à rappeler la loi du Talion. Erreur historique : depuis le Code d’Hammourabi, cette loi a eu pour vocation de mettre des limites à la violence, pas de la justifier.

Un manifestant portant un masque représentant le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu lors d'une manifestation antigouvernementale organisée par des militants israéliens de gauche à Tel Aviv, le 31 août 2024, dans le contexte du conflit à Gaza entre Israël et le mouvement palestinien Hamas. (Photo Jack GUEZ / AFP)

Ce qui s’est passé le 7 octobre à Be Eiri est innommable. Ce qui se passe à Gaza ne l’est pas moins. Des deux côtés, des êtres sans défense, des jeunes Israéliens massacrés, des enfants palestiniens affamés, des otages torturés, des familles décimées .

À l’origine : une même conviction victimaire. Mais lorsque chaque camp se perçoit comme le seul opprimé, les représailles deviennent infinies. Et la victime devient bourreau. La logique de la réciprocité punitive transforme l’autre en symbole à abattre. Chaque acte violent devient une créance à solder. Chaque tentative de paix est perçue comme une faiblesse, voire une trahison. La loi du Talion conduit alors à une régression morale qui renvoie à une justice archaïque, vengeresse et basse.

Tout le monde n’a pas la sagesse d’un Levinas qui faisait du « visage de l’autre « un symbole d’altérité. Au Moyen-Orient aujourd’hui, le visage de l’autre est masqué par celui du terroriste aveugle ou du colon suprémaciste. Il en découle une comptabilité mortifère : combien d’enfants affamés à Gaza valent combien de jeunes Israéliens assassinés dans leur kibboutz ?

Rompre avec la contagion de la rancune devient une urgence absolue. À ne pas le reconnaître, des forces aveugles, israéliennes et palestiniennes, ne font que préparer leurs enfants à d’autres haines, à d’autres massacres. Évidemment, cela suppose un sursaut moral. Cela suppose d’accepter l’injustice de la paix, c’est-à-dire renoncer à avoir raison pour cesser d’avoir tort. Cela suppose d’en finir de ressasser les souffrances d’hier pour tenter de justifier les barbaries de demain. Il est temps que l’avenir ne soit plus l’otage du passé. On cherche en vain, hélas, l’autorité morale qui pourrait le faire comprendre.

Dans le drame qui se joue, inutile de chercher qui a raison et qui a tort ! La vérité a toujours un pied dans le camp d’en face. Le plus urgent est de disqualifier les extrémistes des deux camps pour rétablir le dialogue entre les hommes de bonne volonté : je veux croire qu’il en existe dans les deux camps et qu’ils sortiront un jour de ce cauchemar .

Les Israéliens ont évidemment le droit légitime de se défendre. Mais il leur faudra reconnaître qu’ils ne guériront pas le mal par le mal. Certains d’entre eux parlent aujourd’hui d’un Grand Israël. Il faut leur dire que la grandeur d’un pays ne se mesure ni par le nombre d’ennemis abattus ni en kilomètres carrés envahis par la force.

Un peuple civilisé qui a lui même subi l’injustice, l’humiliation, le crime, ne peut s’en rendre coupable en retour sans commettre une faute morale plus grave encore que celle du barbare qui l’a agressé. C’est ce qu’enseigne la Bible ( Luc 12,48 ). Et ça s’appelle la civilisation.

Bernard Attali

Editorialiste