Israël-Iran : la guerre économique

par Gilles Bridier |  publié le 17/06/2025

Derrière le conflit militaire se cache un autre affrontement : celui de deux économies radicalement différentes.

Des gens se promènent au Grand Bazar de Téhéran, le 3 juin 2025. (Photo : ATTA KENARE / AFP)

Engagé sur quatre fronts simultanément (contre le Hamas à Gaza, le Hezbollah au Liban, les Houthis au Yémen et aujourd’hui le régime des mollahs en Iran), Israël doit faire face à la désorganisation de son économie, tout entière concentrée sur son effort de guerre. D’autant que, situé au coeur d’un Proche Orient complètement déstabilisé, il est un pays riche mais considérablement plus petit que ses voisins. Il ne compte que 9,9 millions d’habitants dans une région du monde où vivent plus de 300 millions de personnes*, selon les statistiques de la Banque mondiale. Mais Israël peut jouer sur les oppositions confessionnelles et les conflits historiques entre ses voisins pour compenser son déficit démographique dans un conflit régional.

Malgré tout, la participation de nombre d’Israéliens aux opérations militaires entraîne un manque de main d’oeuvre qui n’est plus compensé par le recours aux travailleurs étrangers (0,4% des actifs, notamment Indiens), dont le nombre reste bien inférieur à celui des Palestiniens qui exerçaient une activité en Israël avant le 7 octobre 2023 (4% de la population active, estime l’OCDE). Compte tenu des tensions sur le marché de l’emploi qui se traduisent par un taux de chômage particulièrement bas à 2,5%, l’inflation demeure à un niveau élevé, attendue par le FMI à 3,5% en 2025. Pour financer cet effort de guerre, le budget de l’Etat est mis à contribution, passant d’une situation bénéficiaire en 2022 à un déficit de 7,5% l’an dernier malgré des hausses d’impôts et une augmentation d’un point du taux de TVA.

Mais le recul de la consommation n’a pas d’effet sur le marché boursier de Tel-Aviv qui voit le principal indice progresser quasi régulièrement malgré un léger décrochage le 12 juin après les premières frappes d’Israël sur l’Iran. Le soutien militaire sans faille des États-Unis, qui renforcent leur présence au Proche-Orient, et les discours de nombreux chefs d’Etat qui soulignent le droit d’Israël à se défendre, semble rassurer les opérateurs économiques. On relèvera toutefois que le droit international ne considère pas que des « frappes préventives » soient assimilables à une forme de légitime défense.

Face à Israël, le rapport démographique est largement en faveur de l’Iran avec plus de 86 millions d’habitants. Mais le pays, toujours sous le coup de sanctions économiques, est fracturé par la politique des mollahs. Et il ne parvient pas à s’extraire d’une trop grande dépendance aux hydrocarbures dont il détient les deuxièmes réserves les plus importantes au monde. L’inflation, de 37% l’an dernier mais de plus de 50% pour les seuls produits importés, se traduit par une contraction de la consommation et une explosion de la corruption, avec en corollaire un nombre de plus en plus grand d’Iraniens vivant dans un état de pauvreté absolue (plus de 30% de la population). Et les mesures de restriction du crédit adoptées pour lutter contre cette inflation galopante, vont encore plus peser sur les dépenses des consommateurs qui représentent la moitié du produit intérieur. D’où un affaissement de la croissance, qui ne devrait pas dépasser 0,3% cette année contre 3,8% en 2022, prévoit la Coface.

Téhéran compte toutefois sur le soutien économique de la Chine, son principal partenaire économique avec plus de 30% de ses exportations (du pétrole exclusivement) et autant pour ses importations. Mais sur un strict plan militaire, après les victoires remportées par Israël sur les affidés de Téhéran, l’Iran chiite ne peut compter sur le soutien de ses voisins immédiats face à Tel-Aviv, engagé dans une recomposition des forces au Proche Orient.

*Iran, Irak, Syrie, Turquie, Liban, Jordanie, Arabie saoudite, Yémen, Émirats arabes unis.

Gilles Bridier