Israël : la victoire dangereuse
Depuis le 7 octobre, Israël a répliqué à l’attaque barbare du Hamas en démontrant sa supériorité militaire. Sans résoudre en rien la question politique.
Encore une fois, et cela depuis un an, la force l’emporte et la politique recule d’autant. On l’a déjà écrit : en massacrant plus de mille civils dans d’atroces conditions sur le sol israélien, le Hamas n’a pas seulement perpétré un acte barbare. Il a commis une faute stratégique insensée. Son organisation à Gaza a été démantelée, ses combattants sont décimés, ses chefs se terrent dans des tunnels menacés à tout instant par les soldats israéliens, ses alliés ont subi revers sur revers, des dizaines de milliers de Gazaouis ont été tués, la ville a été détruite à moitié, le sud-Liban est écrasé sous les bombes et la Cisjordanie ploie sous une implacable occupation qui conforte la position des colons. Croyant servir sa cause, le Hamas l’a fait reculer de dix ou vingt ans et l’armée d’Israël émerge de ces décombres comme une puissance irrésistible dans cette région bouleversée par une tragique et meurtrière confrontation.
Victorieux sur le terrain, le gouvernement Netanyahou, qui était au bord de l’effondrement politique, a retrouvé dans la guerre une sanglante légitimité qui l’incite à poursuivre impitoyablement les combats. Comment les chefs de la milice terroriste ont-ils cru un instant que leurs ennemis plieraient devant l’attaque ? Que le gouvernement israélien serait désavoué par son peuple ? Ceux qui en doutent doivent lire la tribune publiée dans le Monde par Élie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, infatigable avocat d’une solution de compromis. Cette figure de la gauche israélienne l’écrit noir sur blanc : tout gouvernement, et pas seulement l’extrême-droite, aurait répliqué avec brutalité à l’attaque du 7 octobre 2023. C’est une question à laquelle les adversaires d’Israël en Occident – en France notamment – se gardent de répondre : quel État souverain pourrait tolérer sans réagir durement une telle agression contre sa population, accepter de laisser en l’état une milice aussi dangereuse à sa frontière sud, et regarder passivement des pluies de missiles s’abattre sur les habitants voisins de sa frontière nord ? Sur ce point, les soutiens de la Palestine qui manifestent sans cesse dans les rues des démocraties sont éloquemment muets.
Ce qui laisse néanmoins la question politique entière. En usant de méthodes qui s’apparentent de toute évidence à des crimes de guerre, Israël a vu son image dans le monde se dégrader comme rarement dans son histoire. Ses alliés historiques s’impatientent et craignent à juste titre un embrasement général. L’annonce d’Emmanuel Macron, qui s’est prononcé pour l’arrêt des livraisons d’armes à Israël, n’est que le dernier indice de cette lassitude. Divisé, le gouvernement israélien doit arbitrer entre la tentation de l’extrême-droite – poursuivre la guerre pour y gagner non seulement l’affaiblissement de ses ennemis, mais aussi des extensions territoriales illégales et dangereuses, en Cisjordanie notamment – et les raisonnables propositions des partisans d’une solution négociée, qui passent par un cessez-le-feu, la libération des otages, l’émergence d’un pouvoir palestinien libéré de l’emprise islamiste et la recherche d’un compromis qui déboucherait à terme sur la naissance d’un État palestinien. Là aussi, une tribune parue dans Le Monde, signée cette fois par Ehud Olmert, ancien premier ministre israélien, et Nasser Al-Qidwa, ancien ministre des Affaires étrangères palestinien, trace un chemin réaliste susceptible de mener vers une paix raisonnable.
Les armes ont permis à Israël de rétablir sa situation militaire. Il est temps qu’elle se taisent pour laisser la place à la négociation politique, seule voie praticable pour assurer à terme la sécurité des peuples de la région, les Israéliens au premier chef. Les esprits forts ne cessent de dénigrer cette « solution à deux États » qui est pourtant la seule qui soit conforme à la raison et au droit des gens. Il faut le leur rappeler inlassablement : ils oublient que les victoires d’aujourd’hui n’empêcheront pas, demain, dans cinq ans, dans dix ans, de voir les ennemis d’Israël se reformer et menacer à nouveau la population israélienne ; ils proposent en fait de continuer une guerre de cent ans, avec son cortège de massacres, de frayeurs et de ravages.