Israël : le dangereux isolement

publié le 16/04/2025

Le récent voyage de Netanyahu en Hongrie, puis aux États-Unis, illustre de manière cruelle la solitude diplomatique d’Israël à l’ère de Donald Trump.

Par SÉBASTIEN LÉVI

Le président américain Donald Trump accueille le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu à la Maison Blanche à Washington, le 7 avril 2025. Netanyahu était venu chercher un soutien supplémentaire sur l'Iran et Gaza. (Photo SAUL LOEB / AFP)

Quand le Premier ministre israélien a voulu faire plaisir à son épouse pour leur anniversaire de mariage et trouver un endroit où passer le week-end, les destinations étaient limitées — il fallait éviter les manifestations hostiles et, surtout, se prémunir contre un éventuel mandat d’arrêt émis par les autorités en application des décisions de la Cour pénale internationale (CPI). Au fond, seule la Hongrie paraissait à peu près sûre. Une fois à Budapest, Netanyahu a fait ce qu’il sait faire le mieux : flatter son hôte, détourner les questions et prononcer des discours creux, juste assez longs pour justifier le voyage, dont le véritable but était de passer un moment de détente. On peut certes questionner la légitimité de la CPI. Mais on doit surtout constater l’échec cuisant de la diplomatie israélienne : les lieux deviennent rares en Europe, où Netanyahu puisse se rendre sans risque.

Les États-Unis de Donald Trump sont plus rassurants. Mais le voyage à Washington, il faut bien le dire, fut surtout celui de la soumission. Quand le narcissisme de Trump est mis à l’épreuve (ce fut le cas la semaine dernière quand il a dû reculer face aux marchés), celui-ci sait qu’il peut utiliser Netanyahu comme paillasson. Le chef du gouvernement israélien a été convoqué à la dernière minute par le président, qui voulait utiliser la capitulation de Netanyahu sur les droits de douane comme un exemple pour les autres pays. Et c’est exactement ce qu’il a fait.

Au-delà des questions commerciales, la conférence de presse fut humiliante pour le premier ministre – et donc pour Israël. Elle a révélé le mépris de Trump envers un pays qu’il considère non comme un allié stratégique, mais comme une nation cliente à qui les États-Unis « donnent » 4 milliards de dollars. Plus troublants encore pour Netanyahu furent les éloges de Trump envers Erdogan, qui avait appelé quelques jours plus tôt à la destruction d’Israël, son avertissement à Israël, sommé de bien se comporter avec la Turquie en Syrie, et enfin, l’annonce de discussions directes avec l’Iran sans même en informer Israël — un véritable coup de massue pour l’orgueil de Netanyahu.

L’hypocrisie de la droite israélienne s’est une nouvelle fois manifestée : chacune de ces humiliations aurait déclenché un tollé si elles avaient été le fait d’Obama ou de Biden. La réalité, c’est que Netanyahu a misé toute sa stratégie sur Trump et les Républicains, et n’a plus d’autre choix que de se soumettre et sourire. Trump, l’abuseur en série, le sait bien.

« Bibi » avait déjà montré son irresponsabilité en facilitant les transferts d’argent du Qatar vers le Hamas ou en refusant de discuter d’un plan d’après-guerre pour Gaza. Il l’a confirmée en s’aliénant les Démocrates et la communauté juive américaine depuis plus de quinze ans, ce qui l’a conduit dans une impasse.

Les organisations juives traditionnelles aux États-Unis n’osent guère le critiquer ouvertement. Mais la majorité des Juifs américains le rejettent fermement. Quant aux Démocrates, à l’exception de quelques « idiots utiles » comme le sénateur John Fetterman, ils n’ont pas oublié comment le premier ministre s’est évertué à embarrasser – ou à défier – les présidents démocrates, de Clinton à Biden, en passant par Obama.

Aujourd’hui, les seuls alliés de Netanyahu aux États-Unis se recrutent au sein du courant MAGA du Parti républicain et parmi les chrétiens évangéliques. « Bibi le magicien » a perdu la main avec la majorité des Américains, ce qui explique la détérioration de la position d’Israël aux États-Unis. Après avoir fondé sa stratégie sur Trump, il n’a d’autre choix que d’accepter tout ce que le milliardaire de la Maison-Blanche lui impose.

Cette soumission débouche parfois sur des résultats concrets, comme l’accord sur les otages, mais elle mène aussi à l’affaiblissement d’Israël, plus dépendant que jamais envers les États-Unis et rarement aussi isolé dans le monde. L’alignement idéologique de Netanyahu sur la politique trumpiste reflète tout autant le virage illibéral pris par Israël, qui a désormais pour alliés Orban en Hongrie ou Milei en Argentine, plutôt que Macron ou Starmer. Drôle de politique étrangère pour un pays qui insiste toujours, à juste titre dans bien des cas, sur son statut de « seule démocratie du Moyen-Orient », à un moment où le monde cherche à coopérer sans les États-Unis, qui eux-mêmes se comportent de plus en plus comme un État voyou.

Israël a choisi le mauvais camp, il en paiera le prix. Il est facile d’accuser le monde entier de biais anti-israélien et les organisations internationales d’antisémitisme (certaines posent effectivement problème), mais la vraie force d’un pays réside dans le respect qu’il inspire, les alliances qu’il construit. Le chemin pris par Netanyahu mène à l’opposé.

En 1993, Netanyahu avait écrit un livre intitulé Une place parmi les nations. Par sa diplomatie hasardeuse, ses alliances douteuses, son manque de colonne vertébrale et son attitude soumise, Netanyahu a veillé à ce que cette place soit désormais synonyme de faiblesse, d’isolement et de méfiance.