Je râle et j’encaisse

par Bernard Attali |  publié le 21/02/2025

Certains patrons, souvent poujadistes, se plaignent sans cesse des dépenses excessives de l’État. Et s’ils commençaient par l’examen des aides publiques aux entreprises, coûteuses et mal contrôlées ?

Elon Musk tient une tronçonneuse lors de la Conférence annuelle d'action politique conservatrice (CPAC) dans le Maryland, le 20 février 2025. La tronçonneuse est un cadeau de la part du président argentin Javier Milei. (Photo de SAUL LOEB / AFP)

Commençons par l’essentiel : la France dispose de nombreux chefs d’entreprise de grand talent. D’ailleurs souvent convoités par de grandes firmes internationales. Il est dommage que leur image soit souvent gâchée par des lobbystes maladroits et des complotistes en peau de lapin.

Depuis quelques semaines le Paris des affaires bruisse d’une petite rumeur (cf. la lettre A du 18 février). Des patrons, des financiers prépareraient une offensive anti-fiscalité. Inspirés par le vent qui souffle d’Argentine (Javier Milei), et des États-Unis (Donald Trump), certains se seraient réunis le 21 janvier lors d’un « Forum des libertés » à la Maison de l’Amérique Latine. D’autres auraient créé la Société française « d’affuerisme » (référence subtile au slogan argentin : dehors !). Bref des émules du « tea party ». Avec l’appui de la soi-disant « Fondation pour la recherche sur les administrations publiques », officine qui glorifie régulièrement l’approche à la tronçonneuse d’Elon Musk.

Que ces rumeurs soient fondées ou non, les jérémiades de certains contre toute économie dans le domaine des aides aux entreprises mériteraient d’être remises en perspectives. C’est ce qu’ont fait l’Inspection des Finances et la Cour des Comptes sans qu’on y prête suffisamment attention . Un coup de projecteur aux « aides publiques à l’entreprises » est riche d’enseignements. Il en existe une multitude, les directes (subventions provenant par exemple de France 2030 ou des collectivités territoriales), les aides indirectes, comme les aides à la formation, et les mesures fiscales.

Au total sans doute 380 dispositifs de toute nature, budgétaire, fiscale, etc… L’Inspection des finances estime à 88 milliards d’euros les aides directe (en excluant les exonérations de charges sociales) et à 200 Md le total des aides publiques en incluant les collectivités locales. Cela représente les deux tiers des recettes fiscales de l’État (326Md d’euros) et beaucoup plus que son déficit budgétaire annuel (150Md d’euros) !

Remarquons aussi que beaucoup des aides sont accordés sans critères d’attribution et qu’une fois accordées, leur utilisation n’est pas généralement suivie par les administrations. « On ne sait pas à quoi elles ont servi précisément et on ne demande pas d’explications en retour non plus. C’est clairement un angle mort du dispositif. » dit l’IGF.

Les exemples ne manquent pas. Les excès auxquels ont conduit les exonérations fiscales pour transmission d’entreprises sont bien connues. Mais proposer de les réserver aux actifs professionnels (ce qui devrait être évident) expose à un féroce tir de barrage des « défenseurs » du patronat.

De même dans le projet de loi de finances pour 2025, le gouvernement vient de renouveler pour 4 ans le crédit d’impôt sur les jeux vidéo. « Pourquoi ? Sur quelle base ? Où est le rapport d’évaluation sur le dispositif avant de décider de le renouveler » ? demande encore l’IGF. Pas de réponse.

Un petit souvenir professionnel, en passant. Lorsque j’ai créé naguère l’Agence de Développement de la Région Ile-de-France, mon équipe et moi avons alerté les élus sur l’extravagante dispersion des aides régionales et leur opacité. En vain. A chaque suggestion de rationalisation je me heurtais à des intérêts solidement établis. Cela est encore plus vrai au niveau national.

Il serait temps que les responsables patronaux balayent devant leur porte. Beaucoup ne cessent de critiquer le laxisme de l’État dans la dérive des déficits publics tout en s’opposant farouchement à tout ce qui pourrait rationaliser – voire supprimer – le maquis des aides dont ils bénéficient. Combien d’entre eux n’ont dû leur survie qu’à l’aide du Trésor public pendant la crise sanitaire ?

Bien sûr, le déficit public de la France est excessif. Bien sûr l’État doit faire la chasse à la bureaucratie. Bien sûr, nos prélèvements obligatoires sont trop élevés. Mais il faudrait aussi que cesse le chantage habituel à l’exil fiscal et la complainte poujadiste du type : « je râle, je pleurniche… mais je prends les sous ».

Bernard Attali

Editorialiste