Jean-Hervé Lorenzi : « Le compromis est à portée de main »

par Valérie Lecasble |  publié le 21/02/2025

Les négociations sur les retraites peuvent aboutir à un accord, à condition qu’elles reposent sur la reconnaissance du choc démographique, sur l’allongement juste et progressif de la durée de vie active, sur la prise en compte des carrières longues et de la pénibilité, sur l’amélioration des petites retraites, mais aussi sur la mise en œuvre d’un fonds de capitalisation collectif. Pour éviter le déficit prévu de 13 milliards d’euros en 2030, on s’appuiera sur sept piliers.

L'économiste français Jean-Hervé Lorenzi au Forum économique de la Francophonie, à Paris. (Photo de JACQUES DEMARTHON / AFP 2015)

1/ Peut-on abandonner l’âge légal sans renoncer à l’équilibre financier des retraites ?

Oui. Avec Alain Villemeur et Kevin Genna, de la Chaire des Transitions Démographiques, Transitions économiques (TDTE) dont je suis titulaire, nous travaillons depuis de longues années sur le système des retraites, à partir de modélisations économiques. Pour rétablir l’équilibre financier dès 2030, nous préconisons d’abandonner l’âge légal de départ à la retraite et de donner la priorité aux annuités. L’âge moyen de départ à la retraite est déjà supérieur en France à 63 ans dans le secteur privé et, depuis la réforme de 2023, les annuités requises continuent d’augmenter pour atteindre en 2027 les 43 années de cotisations nécessaires pour bénéficier du taux plein. Jusque-là, l’âge minimal de 62 ans sera maintenu, sauf dispositions particulières pour les carrières longues.

2/ Faudra-t-il pousser la hausse du nombre des annuités jusqu’à 44 en 2035 ?

Nous souhaitons maintenir les 43 annuités requises en 2027 et ensuite les augmenter pour atteindre 43,5 annuités en 2030 et 44 annuités en 2035. Le système de décote et de surcote des pensions évoluerait pour inciter les seniors à allonger leurs activités. Il serait possible de les multiplier par deux à cet effet. Ces mesures devraient induire un décalage du départ effectif à la retraite pour environ 350 000 personnes âgées de 55 à 64 ans, ce qui générerait en 2030 une création de richesses supplémentaires pour 4,1 milliards d’euros et des économies sur le versement des pensions que nous estimons à 6,7 milliards d’euros. D’où, une recette supplémentaire de 10,8 milliards d’euros prévue en 2030.

3/ Pour être juste, la réforme doit prendre en compte les carrières longues et la pénibilité ?

Il convient en effet de maintenir les dispositifs de carrières longues autorisant les départs avant l’âge minimum de 62 ou 63 ans, dans certaines conditions. Il s’agit de réintroduire, d’une manière adaptée, les quatre critères de pénibilité écartés dans la réforme précédente de 2023 : manutention de charges, postures pénibles, expositions aux vibrations, et exposition aux agents chimiques. A priori, les personnes potentiellement concernées par les métiers pénibles sont actuellement au nombre de 1,8 million et ces mesures porteraient leur nombre à environ 3 millions. Cela pourrait générer 50 000 départs à la retraite précoces par an, pour un surcoût de 1 milliard d’euros de pensions supplémentaires.

4/ Les retraités les plus aisés devront-ils contribuer ?

Oui. Pour équilibrer financièrement le système de retraite, on ne peut se reposer uniquement sur les actifs ; les retraités les plus aisés ont généralement bénéficié de pensions bien supérieures au taux de récupération des cotisations, et jouissent en moyenne d’un niveau de vie plus élevé que celui des actifs. Ils sont à 78% propriétaires de leur logement et ont un patrimoine plus important.
Pour fixer les idées, nous définirons les retraités « aisés » comme ceux qui ont une pension mensuelle nette supérieure à 3 000 euros et qui sont propriétaires de leur logement, soit environ 20% des retraités concernés. Pour ceux-là, nous préconisons de supprimer l’abattement pour frais professionnel de 10%. Ce qui devrait coûter en moyenne entre 710 et 860 euros par an aux ménages aisés (Madec, 2025). Pour ceux dont le revenu moyen est d’environ 5 000 euros mensuel, cela porterait le coût à 1,3% de leur revenu annuel. Les recettes générées par cette mesure atteindraient 2,5 milliards d’euros.

5/ Les seniors doivent-ils être plus nombreux à travailler ?

Oui. Trop de seniors âgés de 55 à 64 ans sont inactifs c’est-à-dire ni en emploi, ni au chômage, ni en retraite, ceci avant l’âge de départ à la retraite, sans avoir heureusement de problème de santé ou de handicap. Nous parlons ici d’environ 600 000 personnes auxquelles nous devons ajouter 450 000 personnes qui sont au chômage à cet âge. L’Insee estime qu’en 2021, 11,8% des personnes de 61 ans n’étaient ni en emploi, ni à la retraite, ni au chômage sans qu’il y ait une raison de santé ou de handicap.
Des mesures de retour à l’emploi permettraient de réintégrer au marché du travail en 2030 environ 300 000 personnes, soit 150 000 personnes pour chacune des deux catégories A et B. Ceci permettrait de générer environ 3,5 milliards d’euros de cotisations supplémentaires, tandis que l’on pourrait économiser 2 milliards d’euros d’indemnités de chômage. Bien sûr, un effort de formation et d’amélioration des conditions de travail dans les entreprises serait alors nécessaire.

6/ En France, on compte trop de petites retraites ?

L’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), accordée aux retraités ayant de faibles ressources a été augmentée ces dernières années, mais elle est réservée aux personnes de plus de 65 ans, sauf en cas d’invalidité. Nous demandons d’abaisser l’âge minimum d’obtention de l’Aspa à 60 ans pour les personnes qui ont 38 annuités ou plus, et pour celles aux carrières longues ; à 62 ans pour celles avec 35 annuités ou plus.
Le non-recours à cette allocation pourrait être réduit en modulant le seuil de récupération sur patrimoine. Le coût de ces mesures est estimé à environ 2 milliards d’euros en 2030.
Les femmes pénalisées dans leurs carrières par la naissance et l’éducation d’enfants, par des emplois à temps partiel, et n’ayant pas à 60 ans les annuités requises, devront pouvoir bénéficier de l’Aspa.

7/ Vous voulez relancer le fonds de réserve pour les retraites ?

Le niveau de vie des futurs retraités va baisser dans les prochaines décennies par rapport à celui des actifs, même si le pouvoir d’achat des retraités sera globalement maintenu. De plus, les jeunes générations, perdant confiance dans le système par répartition, sont favorables à une épargne individuelle afin de se procurer de futurs revenus.
En 2001, le Fonds de Réserve des Retraites (FRR), un établissement public, a été créé pour investir au nom de la collectivité les sommes confiées par les pouvoirs publics afin de participer au financement des retraites. Sur une longue durée, il a démontré une réelle capacité à obtenir de bons rendements sur les actifs confiés. En étant géré à long terme, il détient une part importante d’actions, dont le rendement est supérieur à celui du PIB français, sur la croissance duquel le système par répartition est implicitement indexé.
Il dispose actuellement d’actifs d’environ 20 milliards d’euros.

Nous voulons le transformer en fonds de capitalisation collectif avec notamment deux missions : verser aux adhérents une pension supplémentaire visant à améliorer le niveau de vie des retraités qui font un effort d’épargne ; investir dans les entreprises, notamment françaises, pour favoriser leur développement et leur dynamisme économique.

Le dispositif pourrait offrir sur le long terme une garantie en capital, augmentée d’un point de rentabilité annuelle. Il faut envisager une montée en charge rapide de ce fonds, dans un avenir proche. Il devrait atteindre 300 milliards d’euros en 2035 pour être en mesure de verser environ 10 milliards d’euros par an à compter de 2035 aux futurs retraités. A plus long terme, l’objectif visé pourrait être de compenser au moins la moitié de la baisse à venir des pensions par rapport aux actifs.

Propos recueillis par Valérie Lecasble

Valérie Lecasble

Editorialiste politique