Jean-Luc Maduchon
Croulant sous le poids de ses propres erreurs, le régime vénézuélien s’accroche au pouvoir par le truquage et la répression. Naguère intarissable pour le soutenir, le leader de la France insoumise se tait.
Pour Nicolas Maduro, la révolte des Vénézuéliens contre son régime a donc une origine toute trouvée : « le sionisme international » qui « contrôle la totalité des réseaux sociaux et les satellites » et les met au service de « la droite extrémiste ». Par « sionisme international », concept louche s’il en est, il faut évidemment comprendre « les Juifs ».
Ainsi l’idole de la gauche radicale en France, touche le fond de l’abjection propagandiste en usant d’un antisémitisme ouvert et grossier pour expliquer ses échecs. Rien d’étonnant, au fond : sans cette « causalité diabolique » (Léon Poliakov), comment comprendre l’état catastrophique dans lequel il a plongé son pays, sinon par son incompétence sectaire ? En cette matière, le régime chaviste est imbattable. Assis sur les plus grandes réserves de pétrole de la planète, gouvernant un peuple éduqué et industrieux dans un pays qui fut naguère l’un des plus prospères d’Amérique latine, il a réussi au terme d’un admirable effort à réduire de 75% la production nationale, à provoquer l’exil de quelque 7 millions de personnes, à faire disparaître sa propre monnaie dans le tsunami d’une inflation cataclysmique (329 000% en 2019) et à réduire à la misère la plus noire une grande partie de ceux qui n’ont pas pu partir. En dehors des périodes de guerre, un tel désastre ne s’était jamais vu dans les pays développés, même après 1929, quand la production américaine avait chuté de moitié.
Cette descente aux enfers a pour origine principale l’application extrême des thèses de la gauche radicale. Chavez, le charismatique prédécesseur de Maduro, avait eu l’idée – plutôt bonne en soi – de puiser dans les revenus pétroliers pour améliorer le pouvoir d’achat des classes populaires. Seulement voilà : pratiquant cette « politique de la demande » redistributive, il avait négligé d’y adjoindre une « politique de l’offre », dénoncée par les radicaux comme « ultra-libérale ». Les investissements nécessaires à la production nationale faisant défaut, les entreprises vénézuéliennes étant anémiées par des charges excessives et une incertitude juridique permanente, la baisse des prix du pétrole provoqua l’effondrement de l’économie vénézuélienne, qui s’enfonça dans une dépression massive, doublée d’une crise financière infernale. Confronté à de très logiques troubles sociaux et à une grave impopularité, le régime, loin de reconnaître ses erreurs, a réagi par la répression et le truquage des élections, dont on vient encore de voir la manifestation lors du dernier scrutin présidentiel.
Toujours subtile et nuancée, la diplomatie américaine, en décidant de sanctions économiques cruelles, a encore aggravé la situation, frappant le petit peuple vénézuélien plus que ses dirigeants. Mais cette politique brutale ne saurait expliquer le désastre : elle a suivi et non précédé la crise. Elle a surtout servi la propagande du régime, en lui fournissant une excuse toute trouvée. Laquelle semble ne plus suffire : à l’explication par la CIA, le Pentagone et l’impérialisme américain, Maduro ajoute maintenant l’influence occulte et pernicieuse d’un supposé « pouvoir sioniste » qui n’est qu’une nouvelle et honteuse personnification de l’ancienne « juiverie internationale » fallacieusement dénoncée par les antisémites des années trente.
Ainsi évoluent inéluctablement les politiques radicales quand elles sont poussées au paroxysme. Soutien fidèle du régime chaviste, Jean-Luc Mélenchon avait multiplié les plaidoyers favorables à Maduro et joint sa voix à la dénonciation univoque des sanctions américaines. Depuis les dernières élections vénézuéliennes et les déclarations de Maduro, il observe un silence retentissant. Un silence qui vaut tous les aveux.