JFK dans ses oeuvres
La passion d’écrire l’animait autant que la détestation de la pensée unique. Iconoclaste, il mettait un point d’honneur à être là où on ne l’attendait pas. Nous pleurons aujourd’hui notre directeur et notre ami.

Il était à la fois Jean-François Kahn et Serge Maury, quand il n’utilisait pas un deuxième pseudo pour noircir à lui seul la moitié du journal. JFK, comme nous l’appelions à l’Événement du Jeudi, était un directeur de journal unique. Il ne donnait pas seulement la ligne – dite « d’extrême-centre » – avec son éditorial, il écrivait sur tout : la politique française où il restera proche jusqu’au bout de son ami François Bayrou mais aussi les grands conflits internationaux, lui qui avait démarré sa carrière comme reporter pendant la guerre d’Algérie avant de couvrir celle du Vietnam.
Cultivé, enthousiaste, passionné, il arpentait la rédaction, perdu dans ses pensées, avant de s’arrêter devant l’un ou l’autre pour tester ses idées, glaner une information, compléter un propos. Il se voulait toujours là où on ne l’attendait pas. Combien de Unes a-t-il pondues sur les Cons, les Salauds… et les Gens Bien ? Profondément anticonformiste, il avait le politiquement correct en horreur, convaincu qu’enfermées dans leur pensée unique, les élites françaises s’étaient coupées des aspirations populaires.
Il avait dix idées à la minute et délivrait la bonne parole aux journalistes comme autant d’articles à rédiger. Que pense Jean-François aujourd’hui ? Telle était la question que chacun se posait. Entre lui et ses journalistes, la relation était passionnée presque passionnelle. Il les aimait libres de pensée et indépendants d’esprit. Il se méfiait des spécialistes qui, trop proches de leurs sources, se faisaient forcément influencer. Jean-François Kahn aimait les bousculer, commander à une secrétaire de rédaction une enquête sur l’establishment français dont elle ignorait tout, et à la journaliste qui au contraire le connaissait trop bien, un sujet de fond sur … le harcèlement sexuel.
Au déclenchement de la première guerre du Golfe, lorsque 35 états se coalisent en janvier 1991 contre l’Irak de Saddam Hussein, il réunit tous les journalistes en conférence de rédaction. Qui va couvrir le conflit en Irak ? En Israël ? En Arabie Saoudite ? Il suffit de lever le doigt pour se porter volontaire. Un spécialiste de la politique comme Claude Askolovitch ou de la société comme Philippe Lançon sont retenus. Puisqu’ils écrivent bien dans leur domaine, ils le feront aussi dans cette crise mondiale.
Lorsque trente années plus tard, il publie le Tome 2 de ses Mémoires d’Outre-Vies, il invite tous les journalistes qui ont rythmé sa vie, place de la République, à l’hôtel Crown Plaza, proche de son domicile à Paris. « Malgré tout, on l’a fait, on l’a dit ! », est le sous-titre de son ouvrage comme une adresse à cette sorte de secte qui pendant tout ce temps ne l’a pas quitté, et dont il cite les noms au fil des pages… Il pousse l’attention jusqu’à commander des piles de bouquins afin d’en offrir un à chacun, individuellement, dédicacé de sa main.
Fidèle, il cultive ses ouailles comme autant de vrais amis. Il les invite à partager avec lui de bons vins et de savoureuses victuailles au Moulin, sa maison-sanctuaire retirée en Bourgogne où il aimait se réfugier seul pour écrire sa cinquantaine d’essais. Le Moulin, où il a choisi de finir ses jours… en écrivant, encore et toujours.
Jean-François Kahn était un grand patron de presse. Drôle, attachant, truculent, il donnait envie de vivre et de s’arracher. Merci Jean-François, de nous avoir embarqués avec toi. Nous sommes si nombreux à t’aimer…