Kagamé au Congo

par Pierre Benoit |  publié le 30/01/2025

Avec la chute de Goma, capitale du Kivu, le Rwanda est désormais en position de force à l’est de la République Démocratique du Congo.

La Croix-Rouge congolaise rassemblent les corps des victimes des récents affrontements à la morgue de l'hôpital du Nord-Kivu à Goma le 29 janvier 2025. Les combattants soutenus par le Rwanda contrôlaient la quasi-totalité de la ville de Goma en RD Congo après d'intenses combats qui ont vu le groupe armé M23 et les troupes rwandaises s'emparer de l'aéroport et des sites clés. (Photo AFP)

Mardi 28 janvier, les combats ont cessé à Goma. La nuit précédente, les derniers accrochages ont eu lieu pour la prise de l’aéroport. Appuyé par 4000 soldats rwandais, dont certains appartiennent aux forces spéciales, les rebelles du M23 contrôlent désormais la capitale du Kivu à l’est de la RDC après trois jours d’affrontement qui ont fait une centaine de morts.

Une offensive éclair où l’on a vu certaines unités de l’armée congolaise déposer les armes sans combattre et des milliers d’habitants jetés sur les routes une nouvelle fois, comme en 2012, lors d’une autre offensive des rebelles. Avec la chute de Goma, tous les yeux se tournent vers le voisin rwandais.

Voilà plus de trente ans que l’est de la République Démocratique du Congo est déchiré par des combats alimentés par une multitude de groupes rebelles. Le Congo Kinshasa est un pays continent, la capitale se trouve à plus de 2500 km de la zone des « grands lacs », une région longtemps laissée en déshérence. Après trois décennies d’affrontements, Goma accueille aujourd’hui un million de déplacés.

Cette guerre fait ressurgir le drame du génocide rwandais de 1994 et ses fantômes. On se souvient du régime Hutu du président Habyarimana qui alimentait la haine contre les tutsis, des massacres à la machette du printemps portant à plus de 800.000 le nombre des victimes d’un véritable nettoyage ethnique doublé d’un génocide. On a vu Paul Kagamé, à la tête des colonnes du Front Patriotique Rwandais, renverser l’équipe des génocidaires, s’emparer du pouvoir à Kigali en juillet de cette même année 1994.

De nombreux dignitaires hutus et des rescapés de l’armée de Habyarimana s’étaient alors réfugiés dans l’est de la RDC pour continuer leur combat. C’est ainsi qu’est apparue en 2000, une rébellion à majorité hutu, les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR). Pour Kigali, cette apparition était une sérieuse menace.

La poudrière de l’est congolais a pris une nouvelle dimension avec l’apparition d’une rébellion de tutsis congolais cette fois, ces derniers accusant Kinshasa de marginaliser leur communauté au sein de l’immense RDC : le M23 tire son nom d’un premier accord de paix signé par Kinshasa le 23 mars 2009. Au prétexte d’en découdre avec les hutus des FDLR, le M23 a multiplié les exactions dans l’est congolais. Très vite, on a soupçonné ces rebelles bien équipés d’être un « proxy » de Kigali.

Au cours des cinq dernières années, le M23 a signé six trêves consécutives avec Kinshasa. Tous les cessez-le-feu ont été violés. Le dernier accord remonte à juillet 2024. Il n’a pas davantage ralenti les offensives des rebelles. Baptisée « processus de Luanda », une médiation engagée par l’Angola et le Kenya devait aboutir à un sommet entre les présidents Kagamé du Rwanda et Tshisekedi de RDC. Il était entendu que le schéma de sortie de crise était fondé sur le départ des soldats rwandais et la neutralisation des rebelles FDLR par l’armée congolaise. Le 15 décembre, le président Tshisekedi attendait à Luanda. Paul Kagamé n’est pas venu : au dernier moment il avait posé comme préalable un dialogue direct entre Kinshasa et le M23. Une façon de s’exonérer de toute implication dans le conflit.

L’échec de cette rencontre de décembre a précipité l’offensive des rebelles et des forces rwandaises conduisant à la chute de Goma ce mardi 28 janvier. C’est une défaite pour Tshisekedi qui en est réduit à demander l’aide du Conseil de sécurité. Le secrétaire d’état américain Marco Rubio a joint Paul Kagamé pour demander « que toutes les parties respectent l’intégrité territoriale souveraine de la RDC ».

Paul Kagamé, lui aussi parle de cessez-le-feu, mais il insiste pour que l’on « s’attaque aux causes profondes du conflit, une fois pour toutes ». Le décryptage est facile : il veut que son voisin congolais détruise l’ancienne rébellion hutu. Le patron du Rwanda est en position de force, il contrôle une bonne partie du Kivu, une région qui regorge de minerais rares indispensable pour la fabrication de certaines piles et la confection des portables grâce au coltan.

En trente ans et quatre mandats présidentiels Paul Kagamé a su redresser et moderniser son pays avec une gouvernance autoritaire qui a valu l’exil à certains de ses opposants. Son régime est fondé sur la mémoire du génocide et une image de réussite qui lui a valu l’appui des Etats-Unis mais aussi de la France. Avec la prise de Goma, il marque un point. A moins qu’il n’affiche une véritable ambition expansionniste.

Pierre Benoit