Kakistocratie (1)

par Bernard Attali |  publié le 14/01/2025

Le gouvernement court après trois lièvres à la fois. Il risque fort de n’en attraper aucun.

Discours de déclaration de politique générale par le Premier ministre François Bayrou devant les députés à l'Assemblée nationale à Paris le 14 janvier 2025. (Photo de Thomas SAMSON / AFP)

En « remettant sur le chantier » la réforme des retraites, le Premier Ministre vient de reculer… pour mieux sauter dans trois mois. Notre régime des retraites est dans le rouge et nous restons dans le noir. La confusion la plus totale s’est installée sur ce problème des retraites.

Quelques observations, en passant :

D’abord le problème est beaucoup plus grave qu’on ne le dit. Le déficit des retraites devrait être évalué en tenant compte de la subvention d’équilibre annuelle du budget au régime des fonctionnaires (près de 50 milliards d’euros !). Ce que les pouvoirs publics tentent de cacher par des artifices de présentation. En essayant de réduire la masse salariale de la fonction publique – décision fondée sur le plan budgétaire – on accroît automatiquement le montant du déficit de ce régime et donc le montant de cette subvention de plusieurs milliards. Qui en parle ?

Deuxième remarque : allonger l’âge d’ouverture des droits à la retraite c’est élever à moyen et long terme le nombre des Français au travail : c’est donc générer des recettes sociales et fiscales bien au-delà des cotisations retraites (TVA, IR etc…). L’enjeu : pas moins de 15 milliards d’euros. On gagne d’une main ce qu’on perd de l’autre. Qui en tient compte?

Pourtant certains à gauche réclament encore la « suspension de la loi de 2023 ». Sans dire comment faire d’ailleurs. Juridiquement il n’y a que trois moyens : soit la loi est déclarée inconstitutionnelle (et ce n’est pas le cas), soit elle est contraire à un traité international (et c’est encore moins le cas). Il pourrait en être autrement si la loi n’avait pas été accompagnée de ses décrets d’application (mais ils ont été promulgués en juin 2023).

Passons sur l’essentiel, déjà bien connu : les marchés financiers n’attendent qu’un recul de l’État sur le sujet pour déclencher une tempête financière qui nous pénalisera gravement. Et la gauche radicale aura réussi l’impensable : plonger dans la crise le régime de protection sociale qu’elle a vocation de protéger.

Sur le sujet comme sur beaucoup d’autres le Premier Ministre fait ce qu’il sait faire de mieux : des phrases. Il veut en discuter avec les partenaires sociaux ? La belle affaire ! Ceux-ci font déjà partie du Conseil d’orientation des retraites où une quarantaine d’experts sont censés éclaircir le débat. On aimerait bien savoir pourquoi il faudrait encore trois mois de palabres pour décider avec eux d’une ligne claire. Il veut en saisir la Cour des Comptes ? Quelle bonne idée ! Comme si la Cour n’avait jamais formulé d’avis sur le sujet !

Dans cette affaire le gouvernement procrastine parce qu’il court trois lièvres à la fois : éviter la censure du prochain budget, combler le déficit des retraites et plus largement rétablir l’équilibre des comptes publics. En ne choisissant pas il ne règle rien.

(1) Le gouvernement par les nuls

Bernard Attali

Editorialiste