La décentralisation, fausse panacée
Beaucoup, à gauche notamment, veulent aller plus loin dans la répartition des pouvoirs. Mais au vu du bilan des dernières années, est-ce une si bonne idée ?
La République a besoin de réformes dans l’organisation de ses pouvoirs publics. Mais le diagnostic doit être clinique, presque chirurgical, afin que le remède ne finisse pas d’achever le patient, déjà fort mal en point. Et l’absence de travail de fond est préjudiciable au débat : ce n’est pas toujours dans les vieux pots que l’on fait les meilleures soupes. Molière se moquait déjà de cette tendance sous les traits du médecin Diaforius, qui traitait tous ses patients par la saignée : aujourd’hui, le remède magique s’appelle « décentralisation ».
Le texte d’organisation C du prochain congrès du PS a été écrit par et pour des élus locaux : les maires de grandes villes et les présidents de région, selon la disposition naturelle qui veut que tout détenteur d’un pouvoir cherche à en étendre l’empire, appelle à « un nouvel acte de décentralisation ». Mais depuis les premières lois de décentralisation de 1982, le bilan de la délégation des compétences et des moyens de l’Etat vers les communes, les régions, les départements est loin d’être aussi positif que prévu. Par exemple ; la création des grandes régions, accouchées dans la douleur, n’a pas eu les effets escomptés. En effet, le dernier grand acte de décentralisation sous François Hollande n’était pas loin d’être un fiasco : d’après la Cour des Comptes, les dépenses ont augmenté, ce qu’un nouveau rapport de la DG des collectivités locales de 2021 a nuancé, sans donner d’éléments nets positifs. Vous avez entendu parler de la loi 3DS, votée en 2021 ? C’est normal, puisqu’aucune demande de différenciations ne peut être faite sans révisions constitutionnelles.
Une note récente du think tank Terra Nova pointe le caractère opaque de la prévision budgétaire des collectivités locales et résume l’injonction contradictoire qui leur sont faite : réduire leur endettement, qui a augmenté de 7 milliards d’euros l’an dernier, tout en faisant fasse aux investissements nécessaires pour la transition écologique. Tout cela dans un contexte de grignotage des recettes : l’autonomie financière des collectivités locales, inscrite dans la Constitution depuis 2003, est un mythe. Mayer-Rossignol et ses alliés veulent revenir sur le principe « d’autonomie fiscale », que le Conseil Constitutionnel avait réfuté en 2009 : or, les collectivités sont aujourd’hui avant tout des agences de l’Etat. La marge de manœuvre budgétaire a été réduite par la suppression de la taxe d’habitant et de la taxe professionnelle, et, à moins de les rétablir et de réduire drastiquement les compétences des collectivités, il n’est pas possible de revenir à l’autonomie des années 1990. Et mettre en place une nouvelle péréquation qui prendrait en compte la désertification rurale, la constitution de métropoles qui attirent les hommes, les talents et les capitaux, et les nécessités de la lutte contre le réchauffement climatique. Cela fera forcément des gagnants et des perdants : mais « le courage, c’est rechercher la vérité et de la dire », comme l’écrivait Jaurès.
Si le PS veut rapprocher les citoyens de la décision publique, il doit s’attaquer aux doublons qui diluent la responsabilité politique. Faisons le bilan des intercommunalités, des communautés de communes, bref, des EPCI qui ont multiplié les postes de fonctionnaires territoriaux sans qu’aucune suppression n’aient eu lieu au niveau communal. Alors que les Gilets jaunes, le Covid, la hausse des prix de l’énergie ont montré une forte « envie de l’État » de la part des citoyens, la délégation d’obscures compétences techniques à des collectivités sans ressources seraient l’un des derniers clous au cercueil de l’action publique.