La démondialisation malheureuse

par Laurent Joffrin |  publié le 27/03/2025

Les mesures protectionnistes arrêtées par Donald Trump sont censées protéger les classes populaires américaines des effets de l’ouverture excessive des frontières. Elles auront probablement l’effet inverse.

Laurent Joffrin

On va finir par la regretter, cette mondialisation vouée aux gémonies par l’extrême-droite et l’extrême-gauche ! Il y a trente ans, Alain Minc déclenchait une polémique furieuse en publiant un essai intitulé La Mondialisation heureuse. La domination du libre-échange et de l’ouverture des frontières, disaient ses contempteurs, favorise la croissance, mais produit aussi d’innombrables laissés pour compte et désoriente les classes populaires, attaquées dans leurs emplois et leur identité, ce qui favorisera les extrêmes.

On devrait donc applaudir aux mesures de protection douanières et de fermeture des frontières annoncées par Donald Trump. Pourtant – paradoxe remarquable – cette politique de « démondialisation » suscite partout dans le monde consternation et angoisse. La chose est facile à comprendre : en prévoyant de taxer à 25% des automobiles importées aux États-Unis, Trump a fait chuter les actions de tous les constructeurs, promis de fortes hausses de prix à tous les acheteurs de voitures et menacé de chômage les salariés de cette industrie. S’il généralise cette politique, il causera les mêmes désordres dans tous les secteurs de l’économie.

Car les pays concurrents ne peuvent rester sans réagir face à cette offensive douanière brutale et erratique. Sauf à céder d’emblée à l’Ubu de la Maison-Blanche, les pays visés – tous, à vrai dire – devront prendre des mesures de rétorsion qui renchériront d’autant les prix à la consommation. Comme dans les années trente, quand les États-Unis avaient cru combattre la crise de 1929 en adoptant le « tarif Smoot-Hawley » (52% de droits de douane sur plus de 20 000 produits), les coups de force trumpistes vont déclencher une guerre commerciale planétaire qui va bouleverser les chaînes de production, renchérir les produits visés et mettre fin à la coopération internationale qui prévalait en ces matières depuis 1945. Pour beaucoup d’historiens, le protectionnisme des années 1930 fut l’un des facteurs qui ont conduit à la montée des nationalismes, à l’avènement des fascismes et au déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale.

Car si le libre-échange absolu ébranle les sociétés, la fermeture des frontières aussi. En Floride, on en est à rétablir le travail des enfants pour pallier le manque de main d’œuvre consécutif à l’arrêt de l’immigration. Et la plupart des prévisionnistes prophétisent une baisse de la croissance aux États-Unis et dans le monde en raison de la guerre douanière. Toujours à l’affût de solutions rationnelles, les sociaux-démocrates avaient proposé de pratiquer le « juste échange », mélange d’ouverture et de protection contre le dumping social et écologique. Bien entendu, les radicaux des deux bords avaient tourné en ridicule cette doctrine trop raisonnable. Pour les uns, le marché avait toujours raison et, pour les autres, toujours tort. Le simplisme est rassurant. En observant la chaotique politique de Donald Trump, on comprend où il nous a menés.

Laurent Joffrin