La dynamique nationaliste signe l’affaiblissement de l’OMC

par Boris Enet |  publié le 02/01/2025

Ce 1er janvier, l’OMC (Organisation mondiale du commerce) célébrait ses 30 ans. Malgré ses 166 États membres, l’organisation piétine comme l’ensemble des organisations multilatérales nées dans la seconde moitié du XXe siècle.

Devant le siège de l'OMC à Genève, le 5 février 2024 (Photo de Fabrice Coffrini / AFP)

L’offensive nationaliste se lit aussi à travers cette perte d’influence. L’OMC comme l’ONU, redevenu un « machin » selon l’expression de De Gaulle, illustrent la bascule souverainiste et protectionniste derrière laquelle se dissimulent mal les puissances, grandes ou émergentes. Avec le recul, la décennie 1990 du siècle dernier apparaît de plus en plus comme une parenthèse relativement enchantée. 

Qu’on y songe : on célébrait à peine la fin de la bipolarisation du monde que l’on envisageait des concepts universels permettant à l’ONU d’agir de manière supranationale au nom de Droits Humains inaliénables. Kofi Annan se permettait de définir le droit d’ingérence en réaction aux bouchers génocidaires du Rwanda ou de grande Serbie. En 2001, l’OMC, longtemps chasse gardée de Washington et des Européens, ouvrait le nouveau cycle de négociations de Doha, après l’intégration de la République populaire de Chine, parallèlement au règlement des litiges entre États membres. Ajoutons qu’à la faveur d’une coopération internationale féconde, les accords d’Oslo entrouvraient la porte d’un espoir de paix au Proche-Orient, encouragés par un quartet d’inégale influence, composé de l’ONU, de la Russie, de l’UE et naturellement des États-Unis.

Trente ans plus tard, le constat est brutal et sans appel. La paralysie de l’ONU révèle son incapacité à réformer son fonctionnement, mais l’origine réside dans le refus de la supranationalité de la part des grandes puissances. Le surplace est immédiat pour dénouer les conflits, progresser dans la lutte contre le réchauffement climatique ou sacraliser les Droits de l’Homme. 

Washington porte une lourde responsabilité dans cet échec, bien avant les tartufferies de Trump. Son sénat rejetait dès 1997 les premiers accords de Kyoto devant lutter contre le réchauffement, quitte à acheter des droits à polluer. Même sous les mandats du progressiste Obama, la nation américaine n’a pu envisager autre chose que la permanence de sa suprématie au bénéfice d’une gouvernance mondiale basée sur la coopération. 

Sur le plan du libre-échange, les accords de Genève ont été présentés par la gauche alternative comme une œuvre maléfique de dérégulation généralisée au détriment des plus déshérités, au seul bénéfice de l’impérialisme atlantiste. Le problème est que les graphiques de la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement) et du FMI corroborent une autre réalité. La division par quatre des populations vivant avec moins de 2.15 $ journaliers entre 1995 et 2002 est corrélée par le doublement des exportations des pays à revenus faibles et moyens. De quoi s’en satisfaire ? Assurément non, mais de quoi disqualifier le postulat de départ de plusieurs courants de l’altermondialisme, rejoints par les souverainistes des deux rives.

On peut donc questionner l’intégration des spécificités de la Chine par l’OMC dès 2001, en embuscade derrière l’Inde et le Brésil en vertu d’un front anti-occidental qui ne dit pas son nom, au profit d’un malicieux Sud global. On peut moquer la paralysie onusienne pour souligner la grandeur des nations ancestrales, seules en capacité d’établir des rapports de force géopolitiques. 

En réalité, ce serait une défaite intellectuelle, morale et pratique que d’encourager le retour des nations, des empires et des guerres qui les ont toujours accompagnées. Aucune des grandes questions du monde actuel ne peut être résolue par l’ultimatum, les barrières douanières, le protectionnisme à outrance, rejetant la trajectoire des régulations progressives, par définition imparfaites. À l’occasion du trentième anniversaire de l’OMC, c’est l’un des débats qui agitera la gauche en 2025 à l’échelle nationale, européenne et globale – entre ceux qui en admettent la nécessité et les autres. Question de paradigme, mais surtout d’efficacité.

Boris Enet