Aguirre ou la colère de l’or
Ce conte fantastique revient sur les délires de Lope de Aguirre, le conquistador fou parti à la recherche de l’Eldorado dans les profondeurs de l’Amérique Latine, entre délire mystique et fièvre coloniale.

Il n’est jamais trop tard pour exhumer un trésor. Avec Eldorado, le délire d’Aguirre, un petit bijou de BD longtemps resté enfoui s’offre au lectorat francophone. Une œuvre singulière, dessinée par Alberto Breccia et bien connue des Espagnols. Initialement publié en 1991 pour marquer les 500 ans de la « découverte » de l’Amérique par l’émissaire des rois catholiques, ce récit est tout sauf une commémoration triomphale. Plutôt un pamphlet graphique contre la folie colonialiste, qui se dédouble d’une œuvre hallucinée sur les fièvres de la jungle d’une expédition à la dérive.
Au cœur du récit, le personnage de Lope de Aguirre, conquistador mégalomane et paranoïaque, qui entraîne ses hommes dans une quête d’Eldorado où l’or devient synonyme de perdition. On pense, bien sûr, au film « Aguirre » de Werner Herzog sorti en 1972 avec un Klaus Kinski terrifiant dans le rôle principal. Cette BD apporte au film une sorte de réponse graphique, sans doute plus proche des sources hispaniques.
Loin du réalisme académique, Breccia embrasse une veine cauchemardesque : la jungle étouffe, les visages se tordent, la lumière devient poison. Le trait, expressionniste à l’extrême, semble parfois déborder de la page tant il gronde de rage. Ici, le récit historique devient théâtre mental. Aguirre n’est plus seulement un homme : il est la figure même de l’obsession coloniale, du pouvoir qui ronge jusqu’à l’os.
Le texte, dense et tendu, dialogue avec le dessin sans jamais l’écraser. C’est une narration fiévreuse, presque mystique, où chaque case suinte la fièvre et la solitude. Un manifeste graphique, brutal et sans concession, d’une grande originalité.
Eldorado, le délire d’Aguirre, de Alberto Breccia et Carlos Albiac, éditions de la Cerise, 52 pages, 20€.
Consulter les planches de la BD :