La force tranquille de la CFDT
Dotée d’une grande énergie gesticulatoire, la gauche radicale occupe souvent le devant de la scène. Mais la gauche réformiste creuse patiemment son sillon. La preuve : le résultat des dernières élections syndicales.

Il faut une gauche de rupture, seul un projet de « bifurcation » peut faire pièce à l’agressivité de l’extrême-droite, seul un syndicalisme de conflit et de protestation peut exprimer la colère populaire : on connaît par cœur des antiennes récitées depuis des décennies par la gauche radicale, celle qui se prétend « la vraie gauche ».
Ainsi cette « vraie gauche », manipulée par LFI, manifeste dimanche dernier contre le RN, fustigeant l’absence des réformistes, conspuant les « traîtres » comme Alexis Corbière. Ainsi la même gauche continue de transformer l’Assemblée nationale en salle de meeting. Ainsi les syndicats hostiles à tout compromis, la CGT et FO, ont-ils quitté avec éclat la négociation sur la réforme des retraites.
Mais quand les salariés s’expriment à tête reposée, tout change soudainement. Bien sûr la nouvelle fait moins de bruit que les simagrées des partisans du « bruit et de la fureur ». Pourtant les faits sont là, désagréablement têtus. Comme l’annonce Le Monde dans un discret article, la CFDT a obtenu 26,58 % des voix aux dernières élections professionnelles, devant la CGT qui se classe deuxième avec 22,21 % et Force ouvrière (FO) avec 14,91 %.
Autrement dit, c’est le syndicat réformiste par excellence, privilégiant toujours la négociation et le compromis, défendant les travailleurs avec opiniâtreté mais se gardant de les fourvoyer dans des affrontements sans issue et préférant obtenir des avantages imparfaits plutôt qu’échouer à imposer des réformes parfaites, qui domine depuis huit ans le paysage syndical. Cette tranquille prédominance dure en effet depuis mars 2017, quand la centrale de Laurent Berger a ravi la place de premier syndicat du privé à la CGT.
Forte de cette hégémonie, le syndicat de Marylise Léon bataille pied à pied pour obliger François Bayrou à tenir parole et pour rendre plus juste la réforme des retraites soumise à discussion, tandis que la CGT et FO ont lâché la rampe et s’apprêtent à dénoncer confortablement les améliorations arrachées par leur rivale. Tout comme Laurent Berger avait accepté de soutenir le projet de « retraite à points » qui aurait rationnalisé l’assurance-vieillesse avant qu’Édouard Philippe ne rompe la consultation en imposant soudain une mesure d’âge qui a jeté des centaines de milliers de manifestants dans les rues. De toute évidence, les salariés-électeurs n’ont pas tenu rigueur à la CFDT de son pragmatisme. Ce qui tend à prouver que ceux qui s’arrogent le titre de meilleurs défenseurs des travailleurs parce qu’ils refusent les compromis ne sont pas forcément considérés comme tels par les intéressés.