La gauche devra assumer le réarmement

par Gilles Bridier |  publié le 22/01/2025

Mauvaise nouvelle, mais impératif catégorique : même en période de disette financière et face aux menaces croissantes, le budget français de la défense doit augmenter.

Le président Emmanuel Macron prononce ses vœux annuels aux forces armées françaises le 20 janvier 2025. Macron alerte sur une accélération des menaces qui, selon lui, impose à l'Europe de faire un bond en avant. (Photo Stéphane Mahé / POOL / AFP)

Oubliées, les formules alambiquées pour définir la politique de défense du pays. « La France est sur la ligne de front des menaces ». Pour présenter ses voeux aux armées, Emmanuel Macron a sorti son costume de chef de guerre. « Nous devons changer d’échelle dans nos montants consacrés à la défense ». Les armées qui se sont trouvées fort dépourvues lorsqu’il a fallu soutenir l’Ukraine : il faut les rééquiper.

La fin de la guerre froide avait offert un ballon d’oxygène au budget du pays. De plus de 7% de PIB au début des années 50, puis de 3% tout au long des années 70, le budget défense de la France avait été réduit après la chute du mur de Berlin, autour de 1,9% jusqu’en 2020. Ces temps sont révolus : le retour des conflits en Europe sous la pression de la Russie, les priorités transpacifiques des Etats-Unis face à la Chine et les incertitudes sur les missions à venir de l’Otan obligent l’Europe à ne plus compter uniquement sur le parapluie américain si elle veut exister sur la scène mondiale et assurer sa sécurité.

Depuis Bruxelles, Raphaël Glucksmann l’a bien compris. Le fondateur de Place Publique appelle au réveil de l’Europe et au lancement d’un emprunt européen de 100 milliards d’euros pour alimenter un fonds de défense. Dans un monde belliqueux, le meilleur gage de paix passe par la capacité de se défendre. C’est la définition de la dissuasion, dont la gauche, traditionnellement plus pacifiste, ne peut faire abstraction si elle veut redevenir gauche de gouvernement.

Consacrer plus que 2% du budget dans la Défense, lorsque l’heure est aux économies? Ce n’est jamais le bon moment pour programmer une hausse des dépenses militaires alors que l’éducation, la santé et la sécurité réclament déjà des efforts supplémentaires non pris en compte. Comment prévoir plus, quand il faudrait faire avec moins ? Mais ce n’est pas Paris qui dicte le tempo des enjeux géostratégiques des États-Unis, de la Chine ou de la Russie. On peut aussi se demander si consacrer un budget de 50 milliards d’euros à la Défense en 2025 (ce que prévoit la Loi de programmation militaire 2024-2030) alors que celui de la Russie est 2,5 fois plus élevé, celui de la Chine 4,5 fois et celui des États-Unis… 18 fois, est de nature à influencer les rapports de force.

Mobiliser au niveau de l’Europe

Mais considérée dans un ensemble européen, l’équation est tout autre. Les budgets des 27 membres de l’Union – environ 205 milliards d’euros au total – dépassent celui de Moscou, font jeu égal avec celui Pékin et ne sont plus qu’au quart de celui de Washington. Certes, il existe aussi un Fonds européen de défense créé en 2021 pour le développement en commun de technologies et de matériels. Mais doté de 7,1 milliards d’euros, il n’est pas à la hauteur des besoins. Au moins exprime-t-il un début d’intérêt des membres de l’Union pour des projets spécifiquement européens, alors que certains ont pris l’habitude de s’approvisionner sur les étagères américaines. Le projet d’emprunt de Raphaël Glucksmann permettrait de changer d’échelle et de répondre à la nouvelle donne géostratégique.

Suite à l’agression de l’Ukraine par la Russie et la possible volte-face américaine sur le conflit européen, l’Europe commence à se réarmer. C’est au niveau des budgets nationaux que l’on peut mesurer le sursaut des 27. L’obstacle est immense: « Nous avons devant nous un mur d’investissement », concède le Chef de l’Etat. D’autres l’ont compris également. Si la France reste le premier investisseur de l’UE en valeur absolue, les pays qui fournissent le plus d’efforts par rapport à leur PIB sont la Pologne (4%) et la Grèce suivies des Pays baltes, de la Finlande, de la Roumanie et… de la Hongrie. Tous pays du flanc oriental de l’Europe : ce n’est pas un hasard. Conclusion incontournable : seule une Europe de la défense unie peut relever le défi.

Gilles Bridier