La gauche et les OQTF

par Laurent Joffrin |  publié le 24/02/2025

Neuf fois sur dix, les obligations de quitter le territoire français (OQTF), légalement délivrées, ne sont pas appliquées. Qui ne voit que cette impuissance ouvre un boulevard à l’extrême-droite ?

Laurent Joffrin

Le meurtrier armé d’un couteau qui a tué un passant à Mulhouse et blessé gravement deux policiers municipaux en criant « Allah u Akbar ! » est un ressortissant algérien sous OQTF (obligation de quitter le territoire français). Si l’on en croit le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, l’État français a demandé à dix reprises un laissez-passer consulaire pour pouvoir l’expulser dans son pays d’origine, qui ont toutes été refusées par Alger. Ce n’est pas un cas exceptionnel : les méfaits commis par des étrangers illégalement présents sur le territoire français émaillent régulièrement la chronique des faits divers, avec ou sans connotation terroriste.

Qui ne voit que cette situation pose à la France un grave problème ? D’abord en raison des crimes sanglants commis en ces circonstances, qui font à chaque fois des victimes innocentes, envers qui se porte évidemment et légitimement la compassion de l’opinion. Ensuite parce qu’elle a des effets politiques délétères qui ne cessent de s’amplifier.

Certains, à gauche notamment, déplorent les actions de propagande anti-immigrés à chaque fois menées par la droite et l’extrême-droite. Ils rappellent à juste titre que dans sa lutte contre la délinquance et le terrorisme, l’État doit se conformer aux règles de l’état de droit, qui peuvent dans certains cas limiter l’action de l’administration et de la police.

Parlons clair : ces réactions sont désormais très insuffisantes. Car dans le cas d’étrangers sous OQTF, les règles de droit sont respectées. C’est bien en vertu de la loi que des individus considérés comme dangereux – tel le meurtrier de Mulhouse avant son crime – sont tenus de quitter le territoire. C’est aussi en vertu de la loi que l’administration émet des OQTF visant des personnes – dangereuses ou non – qui se maintiennent illégalement en France. Mais cette loi, selon les chiffres officiels, n’est pas appliquée neuf fois sur dix, notamment parce que les pays d’origine refusent de délivrer les papiers nécessaires.

Question toute simple : comment expliquer à l’opinion, émue par ces crimes, indignée par la mort de passants tués au hasard par des individus radicalisés, que l’État reste impuissant et qu’il n’y a pas grand-chose à faire pour interrompre cette série sanglante ? Comment ne pas reconnaître, aussi bien, que cette carence éclatante – et le silence embarrassé de la gauche – ouvrent un boulevard au discours xénophobe, au vote lepéniste et à tous ceux – de plus en plus nombreux à s’exprimer dans la presse de droite – qui proposent de s’affranchir de l’état de droit au profit de mesures expéditives et arbitraires ?

Il est temps que la gauche, plutôt que de s’en tenir à un discours lénifiant, regarde les choses en face et réfléchisse, non à l’adoption de nouvelles lois répressives, mais à la nécessaire application de celles qui existent et qu’elle ne conteste pas. Et donc admette que le non-application massive des OQTF n’est plus tenable et que le moment arrive où il faut renégocier avec les pays concernés les conditions dans lesquelles se déroulent les expulsions, dès lors qu’elles sont prononcées selon les procédures légales, en conformité avec le droit international.

Laurent Joffrin