La gauche française au pied du mur

par Boris Enet |  publié le 28/02/2025

À l’approche d’un vaste tunnel électoral qui pourrait la marginaliser durablement, la gauche française est soumise à deux difficultés majeures.

Raphaël Glucksmann au Salon de l'Agriculture, Porte de Versailles à Paris, le 28 février 2025. (Photo de Bastien André / Hans Lucas via AFP)

La première difficulté commence au printemps. Les congrès des principales formations de gauche dévoileront une orientation post NFP. Au PS, la controverse se cristallise sur son premier secrétaire, Olivier Faure : stop ou encore. À la tête du parti à la rose depuis sept ans, il souhaite rempiler, entrouvrant la porte de 2027.

L’opposition interne est forte et plurielle, mais peine à se structurer. Commettant des maladresses, elle a refusé de porter le fer quand elle était en mesure de le faire au nom de l’unité de la vielle maison. Les socialistes s’émancipent donc de l’alliance avec LFI, mais ils l’ont fait de manière tardive et contradictoire, presque contraints. Cela ne facilite pas les retrouvailles avec la social-démocratie hors les murs, de Place Publique à la Convention de Bernard Cazeneuve.

La formation de Raphaël Glucksmann tient également son congrès au printemps, promettant avancées programmatiques et mise en ordre de bataille. Le talent individuel est autrement plus prometteur de ce côté, mais les troupes restent éparses. Enfin, le parti de Marine Tondelier, engoncé dans des excuses qui n’en sont pas tout à fait dans l’affaire de la dénonciation calomnieuse de Julien Bayou, devra batailler, elle aussi, afin d’imposer une orientation LFI compatible en compagnie de Sandrine Rousseau et l’aile wokiste, contre ceux qui, à l’instar de leurs aïeux, défendent la nécessité d’une gauche plurielle, assumant le bilan des exécutifs locaux aux municipales. Les comptes d’apothicaire sont parfois incompatibles avec la raison quand il s’agit d’obtenir des élus dans des scrutins de liste où les négociations d’appareils emportent les convictions les plus nobles.

Trois congrès tandis que Mélenchon conservera l’horizon dégagé. Lui ne s’embarrasse pas de ce genre de folklore, préférant exclure nominalement avant toute cristallisation d’oppositions internes. À l’agenda judiciaire, on notera toutefois la proximité du procès Chikirou, mise en examen pour « escroquerie aggravée » et « abus de biens sociaux », qui sera probablement l’occasion pour les adeptes de dénoncer un complot d’État aux ordres de la justice bourgeoise.

La seconde difficulté est autrement plus significative. Le bouleversement international en cours nécessite un changement de logiciel. Si elles veulent retrouver crédibilité, les gauches sont contraintes d’amender leurs doctrines. Difficile pour le PCF de continuer dans l’artificielle critique de l’atlantisme, à l’heure où le patron de la Maison Blanche est devenu le meilleur ami de Poutine et que son représentant à l’ONU vote en compagnie de la Corée du Nord.

Il faut, pour de bon, faire le deuil de la Guerre Froide. Difficile pour les Verts, de concilier un pacifisme présenté comme principiel avec des convictions européennes et fédéralistes quand l’UE est sommée d’accroître son budget militaire, du simple au double.

François Hollande a tranché la question : « Donald Trump n’est plus notre allié », proposant d’en tirer un certain nombre de conséquences pratiques. Quid des autres ? De tous les autres ? Il ne suffit pas de claironner « Give peace a chance » en compagnie de John Lennon et Yoko Ono quand les bruits de bottes écrasent Koursk et que Vance transforme les européens en Edvard Benes.

De ce point de vue, la réponse la plus aboutie, travaillée de longue date provient de Raphaël Glucksmann. Le renforcement de l’intégration politique, industrielle et militaire est un impératif qui tarde. « La grande confrontation », publié au printemps 2023, était un cri d’alerte dans le désert, devenu une lumineuse confirmation depuis. La compréhension a depuis cheminé, parmi les européens sincères, attachés aux valeurs démocratiques et à la paix du vieux continent. Reste que les appareils de gauche intègrent avec retard et parcimonie ce qui relevait de l’évidence pour peu que l’on ouvrît les yeux.

Un double-obstacle donc, permettant d’en savoir davantage sur les capacités de la gauche à retrouver le réel car le paradoxe est cruel. Que cela soit sur le soutien indéfectible à l’Ukraine, ou la nécessité de se doter d’un budget de circonstance, l’écrasante majorité de l’électorat de gauche n’hésite pas un instant quand ses formations censées les représenter sont à sa remorque. Saisissant.

Boris Enet