La gauche gagne, Lecornu aussi

par Valérie Lecasble |  publié le 14/10/2025

Dans un discours de politique générale vif et incisif, le Premier ministre accorde au Parti socialiste ce qu’il lui réclame, à commencer par la suspension de la réforme des retraites jusqu’à la présidentielle de 2027. La gauche applaudit…

Sébastien Lecornu, lors de la séance publique consacrée à la déclaration de politique générale du gouvernement, suivie d'un débat (conformément à l'article 50-1 de la Constitution), au Palais Bourbon, dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale. Paris, le 14 octobre 2025. (Photo by Xose Bouzas / Hans Lucas via AFP)

Le suspense est terminé et le symbole est tombé. Après plusieurs semaines de consultations pour prendre la mesure de la situation et une démission pour faire plier un Emmanuel Macron au bord du précipice, Sébastien Lecornu a trouvé la porte de sortie. Afin d’éviter la crise de régime, il donne satisfaction aux socialistes sur l’ensemble de leurs revendications. Il reconnaît que les Français ne digèrent toujours pas la réforme des retraites de 2023 et que le prix de la cohésion sociale est moins élevé que celui de la division.

Il avait déjà renoncé au 49-3 afin de redonner son pouvoir au Parlement. Il cède maintenant aux autres conditions posées par le Parti socialiste pour éviter la censure. En premier lieu, la plus symbolique d’entre elles, celle de la suspension de la réforme des retraites jusqu’à la présidentielle de 2027 qui concerne 3,5 millions de français pour un coût de 400 millions en 2026 et 1,8 milliard en 2027, et qui devra être compensé. Le prix de la cohésion sociale, dit Lecornu, est moins élevé que celui de la crise politique, alors qu’Emmanuel Macron avait annoncé que la prochaine mènerait tout droit le pays à la dissolution, soit à la crise de régime. Nous pouvons encore l’éviter, veut croire Lecornu qui entend maintenir la trajectoire budgétaire à 4,7 % de déficit en 2026.

Loin d’être un boulet, la suspension de la réforme des retraites doit se transformer en opportunité au profit du paritarisme et de la démocratie sociale : aux syndicats, il enjoint de s’emparer, s’ils le souhaitent, de la gestion du régime des retraites. Il annonce l’ouverture d’une conférence sur les retraites et le travail qui redonne vie au conclave et aux mesures qui y avaient été négociées : les pensions des femmes, la pénibilité, la gestion du régime.

Là est la rupture, dit Lecornu : il s’agit de redonner de l’attractivité aux métiers indispensables, de prendre en compte le travail pénible, et de revaloriser la carrière des femmes. Aussi, promet-ils, dès maintenant, jusqu’en janvier 2028, qu’aucun relèvement d’âge n’interviendra. D’ici là, il s’agira pour les partenaires sociaux d’explorer toutes les voies : celles de la retraite à points, de la capitalisation ou pourquoi pas de l’abandon de l’âge légal.
Pour la première fois depuis la dissolution, les députés de gauche applaudissent, visiblement soulagés que leurs revendications aient été entendues. Avec la suspension de la réforme des retraites, ils obtiennent la victoire politique qu’ils attendaient, celle qui leur permet de sortir de la crise avec les honneurs et d’éviter la censure. Même le grincheux Boris Vallaud reconnaît la victoire.

Sébastien Lecornu assortit cette décision majeure d’un débat au Parlement. Il admet qu’il existe des anomalies dans la fiscalité des très grandes fortunes et annonce qu’il encadrera aussi l’optimisation fiscale des holdings familiales. Plus globalement, il présidera en personne les séances sur le budget et la Sécurité sociale.

Après avoir caressé la gauche dans le sens du poil, le Premier ministre n’en oublie pas pour autant la droite. Ainsi, a-t-il engagé une revue des dépenses de l’État avec un engagement sur plusieurs années. Je ne serai pas le Premier ministre de la dérive des comptes publics, assène-t-il. En même temps que le projet de budget et de Sécurité sociale, il a déjà déposé un projet de loi contre les fraudes.

Suspendre, ce n’est pas renoncer ni reculer, assure-t-il mais assurer la cohésion et l’unité du pays. Il est temps que le pouvoir soit partagé entre le gouvernement et l’Assemblée nationale, ajoute-t-il, et que l’Etat entame une nécessaire simplification pour savoir qui est responsable de quoi, avec « un seul responsable par politique publique. »

Certes, la droite contient mal sa fureur devant la suspension, mais elle le laissera faire. Et surtout, le Parti socialiste a annoncé qu’il ne voterait pas la censure. Appelé à la rescousse par un Emmanuel Macron au bord du gouffre, le moine-soldat Lecornu a rempli sa mission.

Valérie Lecasble

Editorialiste politique