La guerre de l’acier devient incandescente

par Gilles Bridier |  publié le 06/06/2025

La volte-face de Trump sur l’acier américain et la nouvelle hausse des droits de douane oblige l’Europe à relever ses protections contre l’acier chinois subventionné.

Un drapeau du fabricant d'acier japonais Nippon Steel flotte à l'entrée de l'usine « Nagoya Works » de la société à Tokai, préfecture d'Aichi, le 2 juin 2025. (Photo de Richard A. Brooks / AFP)

Donald Trump a lancé un pavé en acier dans l’océan du commerce international. Et l’Europe va être éclaboussée. Alors que le président américain avait assuré – croix de bois, croix de fer – qu’il ne céderait jamais le champion de l’acier américain US Steel à des intérêts étrangers, il a accordé le 30 mai son feu vert à un « partenariat » avec le géant japonais Nippon Steel. Ce-dernier s’engage à investir 14,9 milliards d’euros dans les installations américaines, et à maintenir l’emploi chez US Steel. Et pour faire bonne mesure, le président américain a décidé de porter à 50% (au lieu de 25%) les droits de douane sur les importations d’acier – comme de l’aluminium – ce 4 juin, ce qui aura pour conséquence de fermer le marché américain aux aciers étrangers. Et de sécuriser les débouchés de Nippon Steel aux Etats-Unis.

Cette opération se déroule dans un contexte mondial de surproduction d’acier. La Commission européenne ne méconnaît pas le problème, mais n’a pas encore pris de mesures pour protéger l’UE d’une réorientation des exportateurs d’acier qui, bloqués aux États-Unis, augmenteront leur pression pour y accroitre leur pénétration. Les enjeux sont énormes. Selon les Perspectives de l’acier de l’OCDE publiées fin mai, les excédents de capacités dans le monde « devraient atteindre 721 millions de tonnes en 2027, soit environ 290 millions de tonnes de plus que la production d’acier cumulée des pays de l’OCDE en 2024 ». Une surproduction ingérable ! En clair, la Chine qui produit plus de la moitié de l’acier mondial, inonde le monde de ses exportations qui ont « plus que doublé depuis 2020 et atteignent un niveau record de 118 millions de tonnes en 2024 ». Des exportations chinoises à comparer aux 130 millions de tonnes d’acier produites par l’Europe entière l’an dernier.

La sidérurgie européenne dans son ensemble est menacée à cause de conditions de concurrence déloyale : « Les taux de subventions de l’acier en Chine sont dix fois supérieurs, en pourcentage des recettes des entreprises, à ceux des pays de l’OCDE », souligne l’étude. Des clauses de sauvegarde européennes existent, opérationnelles jusqu’en juin 2026. Mais elles n’ont pas suffi à enrayer le recul de 25% en cinq ans, et tous les pays de l’UE sont sous le coup de plans sociaux. Sans sidérurgie, la souveraineté industrielle de l’Europe est en péril. Et les efforts pour décarboner les productions grâce à des investissements dans des technologies bas carbone risquent d’être abandonnés à cause des ajouts de capacités polluantes déjà programmés dans le monde.

La Commission travaille depuis le mois de mars à un « plan d’action pour l’acier et les métaux ». Il devra être calibré pour contrer la pression croissante des sidérurgistes mondiaux qui chercheront de nouveaux débouchés en Europe pour compenser la perte du marché américain. La réplique est urgente. S’agissant de la Chine, nul doute que des mesures de rétorsion seront prises si l’Europe devait ériger de nouvelles dispositions protectionnistes, même si le problème vient avant tout des subventions dont bénéficient les sidérurgistes chinois. Sur l’acier comme sur l’aluminium, la nouvelle politique américaine va déclencher une intensification de la guerre économique. On attend maintenant la réponse européenne, qui ne devra pas être timorée.

Gilles Bridier