La guerre, le chaos… et malgré tout, l’espoir !

par Boris Enet |  publié le 20/06/2025

« Le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». Cette référence à Gramsci semble s’appliquer à la situation internationale du moment.

Manifestation contre la guerre, à Los Angeles, le 19 juin 2025, suite au conflit entre Israël et Iran. (Photo de Jon Putman / Anadolu via AFP)

Comment qualifier cette séquence dangereuse et susceptible de brusques développements à l’initiative de trois autocrates irresponsables à Téhéran, à Tel Aviv et à Washington par de-là la différence de nature entre les États israéliens et américains, encore démocratiques et la dictature théocratique des mollahs ?

Personne n’éprouve de nostalgie pour l’ordre bipolaire d’antan. Ce serait méconnaitre la lourde oppression de ceux qui l’ont subi, dans les dictatures bureaucratiques et le glacis soumis au stalinisme, mais également celle de ceux qui furent victimes à la périphérie du « monde libre » d’un impérialisme dévastateur, en Asie, en Amérique latine ou en Afrique.

La décennie 1990, ouverte par la chute du mur de Berlin en novembre 1989, préfigurait une alternative : un monde multipolaire, un droit international tenant en respect les impitoyables bouchers. Le 11 septembre 2001 passé par-là, l’affaiblissement de toutes les organisations internationales, de l’OMC à l’ONU, est devenu réalité. Le repli de la première puissance mondiale, signe de son déclin relatif, laissa place à une impuissance à réguler les conflits régionaux, en distribuant tantôt la carotte, tantôt le bâton. Le pogrom du 7 octobre, la guerre à Gaza et dans toute la région comme la guerre de Poutine en Ukraine accentuent cette impuissance sous les traits d’un Néron narcissique au point « de ne pas savoir lui-même ce qu’il va faire » pour toucher les dividendes d’une situation qui lui a échappé.

Le désordre international actuel est marqué du sceau d’un nationalisme primitif qui porte en lui, par nature, le feu et la misère. Aux États-Unis, en Asie de l’Est et méridionale, dans une partie de l’Amérique latine ou dans plusieurs régions d’Europe, il essaime – et l’emporte parfois. Au Moyen-Orient, dans plusieurs régions d’Afrique, il met à mal des coopérations vitales et alimente des guerres « ancestrales », niant l’État de droit, dont l’indispensable sécularisation du fait religieux. Or, le sacre du roi des Maga a correspondu à un déchaînement de violences inégalées. Affaibli, inconséquent, imprévisible, il est particulièrement dangereux, comme son ami Poutine.

Face au petit tsar, il s’est laissé humilier, utilisant pour lui complaire des procédés indignes avec Zelenski, sans le moindre résultat tangible. Dans le conflit au Moyen-Orient, il a été mis devant le fait accompli par Netanyahou et l’extrême-droite israélienne, puis il a pris le wagon en marche tout en prétendant avoir négocié avec les mollahs, soufflant le froid, le chaud et surtout l’indécision des faibles. Il n’en fut pas différemment face à Xi Jinping à propos des terres rares. Il en résulte un déchaînement de violences, de désolations, de déportations. La partie la plus éduquée d’Israël s’enfuit pour de bon, épuisée par la prépondérance des nationalistes grégaires et autres religieux messianiques. En Iran, la dictature théocratique, même affaiblie, possède encore un appareil de répression pour torturer Masha, emprisonner Ashkan, violer Atiyeh. Là encore partir dans l’urgence, oui, mais pour aller où et pour faire quoi ? Le renversement du régime honni des mollahs sans alternative démocratique est un leurre.

Dictatures de longue haleine, démocratures émergentes ou démocraties malades minées de l’intérieur, toutes possèdent en commun, la haine du multilatéralisme parce qu’à vocation universelle ; celle des organisations internationales et leurs références à l’égalité, aux droits de l’homme, au partage de la connaissance et des richesses. Devant une cour internationale, tous encourent en réalité une mise en accusation, quand bien même les motifs différeraient à la marge. L’ONU méprisée et étranglée financièrement par les monstres n’est même plus le « machin » comme la qualifiait De Gaulle mais un vestige en ruine. L’exacerbation identitaire excluante, le souverainisme réduit au pré-carré territorial, leur cortège d’addictions aux « vérités » fabriquées sont les maux qui empoisonnent désormais toute l’humanité.

En marginalisant les cadres de sécurité collective, les monstres détruisent le creuset d’une promesse nécessaire. Face au négationnisme climatique, aux atteintes aux droits humains, à la militarisation des économies, ils demeurent une garantie de progrès même imparfaite. Au gré des flux et des reflux de l’Histoire, aujourd’hui encore, ils sont malmenés.

Seule construction politique supranationale qui, malgré les difficultés de gouvernance, existe, l’Union Européenne s’affirme et offre une autre vision du monde. Fragile à plus d’un titre – en matière de défense en particulier -, elle reste debout, forte de ses valeurs, de son attractivité, du Canada à la Californie. Plus elle assumera ses responsabilités, plus elle sera la cible des nationalistes de l’extérieur et de l’intérieur, ceux de droite, d’extrême-droite et ceux de la « gauche » du renoncement.

L’Union Européenne doit endosser son costume d’avant-garde, régulatrice et pacifique, pour résister, mais aussi pour offrir une alternative au chaos et aux drames qui frappent à sa porte, à l’Est comme au Sud.

Boris Enet