La machination Dati
La ministre de la Culture veut à toute force créer un service public unique de l’audiovisuel. Derrière les justifications officielles se cache une manœuvre politique.

Sans doute aiguillonnée par sa mise en examen pour corruption passive et trafic d’influence, Rachida Dati veut à toute force attacher son nom à une loi importante. Elle a jeté son dévolu sur l’audiovisuel public, dont elle veut unifier les principales sociétés sous un commandement unique en créant une holding qui viendrait chapeauter les actuelles directions.
Comme la gauche a cherché à retarder le vote en déposant des amendements nombreux, les députés favorables à la loi, avec la complicité du RN, ont laissé adopter la motion de rejet déposée par leurs adversaires, peu inspirés en l’occurrence, puisqu’ils sont tombés dans le piège. Au lieu d’être débattu à l’Assemblée, le texte repart illico au Sénat, avant de passer en commission mixte paritaire, ce qui améliore ses chances de succès.
L’idée de réunir l’audiovisuel public pour créer, selon ses promoteurs, une « BBC à la française » n’est pas forcément idiote. C’est un fait que la radio et la télévision publiques sont confrontés à la concurrence de mastodontes, étrangers ou français. Mais les arguments employés par la ministre jettent un doute sur ses véritables motivations. Agressive et d’une mauvaise foi punique, elle a commencé par attaquer violemment le service public qu’elle est censée renforcer, à l’unisson de l’obsessionnelle campagne menée par la droite et l’extrême-droite, qui lui reprochent d’être un nid de « gauchistes » pour simple raison qu’il se distingue de la propagande menée par les chaînes Bolloré et apparentées.
Elle est même allée jusqu’à menacer un journaliste, Patrick Cohen, parce qu’il lui posait des questions sur les affaires où elle est mise en cause. On voit très bien, dès lors, quelle serait sa conception d’un audiovisuel unifié sous sa houlette et dirigé par une seule personne habilement désignée. Le nouveau service public pourrait-il enquêter librement sur elle ou sur ses amis politiques ? On peut en douter.
Rachida Dati reproche aussi à France Inter, station de radio au succès remarquable, de n’intéresser que les vieux ou les catégories sociales supérieures. Outre que ces critiques à l’emporte-pièce sont contestées avec véhémence par les intéressés, on ne voit pas en quoi la création d’une couche bureaucratique supplémentaire au sommet rajeunirait ou démocratiserait ipso facto l’antenne. Sophisme et accusation gratuite. Quand on veut noyer son chien radiophonique…
On comprend mieux l’offensive de la ministre quand on connaît son plan de carrière : laisser une trace visible rue de Valois de manière à se placer en meilleure position pour briguer la Mairie de Paris, son ambition principale. On subodore aussi que le Rassemblement National, qui a manœuvré en sa faveur, trouve plus commode de privatiser une seule société publique plutôt que plusieurs, si par malheur il arrivait au pouvoir. Il ne serait pas fâché, de surcroît, de voir la radio et la télé publiques mises au pas par le pouvoir politique. France-Télévision et Radio-France ont conquis au fil des années une indiscutable indépendance éditoriale. On craint de comprendre que c’est leur défaut principal aux yeux de leurs contempteurs.