La nationalisation ou la mort lente

par Gilles Bridier |  publié le 04/05/2025

La sidérurgie française décline depuis plus d’un demi-siècle. C’est maintenant ArcelorMittal qui est menacé. Pour éviter l’abandon, l’État est à nouveau interpellé.

La CGT a appelé à une grande manifestation à Dunkerque le 1er mai pour protester contre le projet du sidérurgiste de supprimer environ 600 emplois dans le nord et l'est de la France. (Photo de Sameer AL-DOUMY / AFP)

« Un pays comme la France a des raisons de vouloir préserver sa base industrielle et, s’il le faut, par des interventions publiques ». Qui a dit cela ? Michel Barnier, l’ex-Premier ministre de droite. C’était en 2012, pour sauver Florange en soutenant une proposition d’Arnaud Montebourg, ministre de gauche, chargé du Redressement productif. Le ministre de François Hollande défendait un scénario de nationalisation provisoire, comparable à celui qui, quelques années plus tôt, avait permis le sauvetage des Chantiers de l’Atlantique à l’initiative de Nicolas Sarkozy.

Mais une nationalisation, pour quoi faire ? On ne peut espérer le succès qu’avec un projet industriel de relance. Deux exemples : en 1986, Usinor avait été nationalisé pour devenir un leader mondial avant d’être privatisé en 1995 ; l’Etat avait aussi pris Rhône-Poulenc sous sa coupe pour le transformer en Sanofi-Aventis… Pour sauver Florange, l’Etat manqua-t-il de vision, d’imagination ou d’un industriel déterminé ? Le sidérurgiste indien Mittal, propriétaire d’ArcelorMittal depuis 2006 (le nouvel Usinor), régla le problème à sa façon : après maints autres, le haut fourneau de Florange s’éteignit à son tour. Opposé à Emmanuel Macron, Arnaud Montebourg démissionna.

À nouveau, la sidérurgie est en péril et la question d’une nationalisation se pose. Bien sûr, il y a la pression chinoise que l’Europe semble considérer comme une fatalité. La Chine produit plus de la moitié de l’acier mondial, soit six fois plus que l’Europe dans son ensemble en 2023… et 80 fois plus que la France qui pointe au seizième rang mondial ! Subventionnée, pratiquant le dumping à l’international, elle étouffe ses concurrentes.

Déjà en 2016, toute la sidérurgie européenne, patronat et syndicats rassemblés, avait défilé à Bruxelles pour dénoncer la concurrence déloyale de la Chine, qui avait entraîné l’effondrement des prix et le doublement en deux ans de ses exportations vers l’Europe. Dans tous les pays, on licenciait. Des mesures avaient été prises… insuffisantes. Or, avec la fermeture du marché américain due aux nouveaux tarifs douaniers, l’Union européenne est encore plus menacée. Sa production d’acier atteint déjà un point bas historique. Face à la surcapacité de production chinoise entretenue par Pékin et à la montée en puissance de l’acier indien, la Commission a été à nouveau mise en demeure de réagir. En février dernier, elle a promis un « plan d’action pour l’acier et les métaux », sans lequel la sidérurgie européenne est vouée à disparaître, notamment en France où elle est encore plus mal en point qu’en Allemagne ou en Italie.

Mais la réaction est trop lente. ArcelorMittal envisage de supprimer à nouveau plus de six cents emplois sur sept sites en France, et renonce à moderniser le site de Dunkerque pour décarboner la production. L’actionnaire Mittal, qui anticipe une poussée des importations, réoriente sa stratégie en privilégiant les délocalisations, en fonction de critères de rentabilité qui lui sont propres. Comment construire une relance de l’industrie en France et une souveraineté industrielle en Europe en abandonnant l’approvisionnement de secteurs comme le bâtiment ou l’automobile aux seules importations chinoises ou indiennes?

Mittal ne reviendra pas sur son désengagement. Pour éviter que la sidérurgie ne tombe à un plancher qui rendra plus improbable tout scénario de redressement, la Banque européenne d’investissement est interpellée pour financer des projets de décarbonation et d’électrification de la sidérurgie, afin de moderniser l’outil en respectant les impératifs de transition écologique. En cas d’impossibilité à cause du coût de l’énergie, l’Etat ne peut pas rester simple spectateur. Une seule solution, la nationalisation ? Bercy rétorquera que la France, trop endettée. Alors ? Le temps presse et la France accumule les contre-performances économiques. Or, l’industrie est un socle. C’est à cause d’hésitations de même nature que l’État a assisté sans réagir à la disparition de Péchiney…

Gilles Bridier