La nouvelle Allemagne

par Jérôme Clément |  publié le 28/02/2025

Les élections en République fédérale ont changé la donne, pour les Allemands, mais aussi pour la France et l’Union européenne.

Friedrich Merz, candidat chancelier des démocrates-chrétiens allemands (CDU/CSU), le lendemain des élections législatives du 24 février 2025. La CDU/CSU l'a emporté avec 28,5% et chercher à former une coalition gouvernementale. (Photo MAJA HITIJ / Getty Images via AFP)

La chute du SPD était annoncée (15%,-9% par rapport à 2021) : la gauche allemande subit le même sort que la plupart des partis sociaux-démocrates. La question de l’immigration, la protection sociale confrontée à une diminution de la croissance et à un recul démographique, l’angoisse de la désindustrialisation, et, surtout en Allemagne, la cacophonie d’une coalition de trois partis, mal dirigée par un chancelier impuissant à les mettre d’accord et incapable de faire face à des événements totalement inattendus et aux lourdes conséquences pour l’Allemagne. Logiquement, leurs alliés, les Verts, reculent également et le FDP, parti libéral, en contradiction totale avec ses alliés, disparaît du parlement.

Les partis conservateurs CDU/CSU remportent la victoire avec 29%, ce qui est une avancée forte, mais insuffisante pour gouverner seuls. Il faut remarquer la progression de Die Linke, l’extrême gauche, qui progresse à 8%, recueillant le vote des jeunes, comme l’AfD, parti néonazi (Le RN à côté est un parti centriste), qui fait une percée spectaculaire à 20 %, en récupérant le vote des salarié déçus par la gauche. Ces deux derniers partis peuvent ensemble avoir une minorité de blocage – ce qui a été peu souligné – procédure qui permet en Allemagne d’empêcher la majorité de prendre des décisions risquant de porter atteinte à la constitution. Parmi celles-ci, la question de l’endettement, et ses conséquences sur le réarmement allemand. La possible progression de l’AfD est dans toutes les têtes surtout si, elle conquiert un ou plusieurs Länder dans les élections à venir.

La future coalition réunira vraisemblablement la CDU/CSU et le SPD conduit par Boris Pistorius, le populaire ministre de la défense, déjà très engagé sur la nécessité d’une force européenne. Les discussions seront plus vives sur les questions de l’immigration, le contrôle aux frontières et les mesures fiscales et industrielles urgentes pour relancer un pays en récession depuis deux ans, sujets sur lesquels existent de profonds désaccords, Merz, futur chancelier J souhaitant baisser les impôts et les sociaux-démocrates protéger les plus faibles et maintenir le niveau des prestations sociales.

À ce stade, il n’est pas prévu d’autres partenaires, les désaccords entre la CDU/CSU et les Verts étant encore plus importants qu’entre le SPD et les conservateurs. Merz souhaite une négociation aussi courte que possible compte tenu de la situation. Pâques, mi-avril, est son objectif , mais cela pourrait être plus long, puisque le contrat de coalition doit trancher, préalablement à la constitution du gouvernement, toutes les questions politiques majeures et que cet accord ne fait pas l’unanimité au sein du SPD. Merz, qui n’a jamais gouverné, devra faire ses preuves avec une coalition faible, d’autant que l’AfD pèsera de tout son poids sur les débats politiques ; menacé d’élections locales à venir très négatives, le gouvernement allemand sera contraint d’en tenir compte, surtout avec l’arme de la minorité de blocage.

À chaque élection allemande, les français sont saisis de la même angoisse sur leur « couple » : les allemands nous aiment-ils toujours ? Pourra- t-on réveiller notre ardeur ? Vont-ils aller voir ailleurs ? Cette puérilité juvénile fait d’autant plus sourire que la question n’est pas là. Il suffit de regarder la carte et les chiffres : aucun des deux pays n’a le choix, ni économiquement, ni politiquement, ni même maintenant militairement : le réarmement allemand se fera nécessairement en harmonisant les politiques de défense, avec les Français, les Polonais très engagées et les Anglais, incontournables. La question du parapluie atomique français, de l’énergie nucléaire également, est désormais posée et sera l’un des sujets majeurs depuis la rupture de l’alliance atlantique par Trump, actée par Merz -une révolution ! Celui-ci l’a bien compris, c’est un changement radical en Allemagne. La constitution d’une force européenne qui suppléera de fait l’OTAN est le grand chantier qui s’ouvre devant nous avec les défis industriels et commerciaux liés à la concurrence chinoise et maintenant américaine.

L’Europe est seule. Elle doit agir vite. Raison supplémentaire de faire de l’axe franco-allemand le cœur d’une nouvelle dynamique européenne, condition de sa survie. La visite de Merz, francophile et européen, à Paris, ce mercredi, doit être, avec la réactivation du triangle de Weimar avec les Polonais, la promesse d’une nouvelle et décisive étape dans l’affirmation et l’intégration de l’Europe.

Jérôme Clément

Editorialiste culture