Trump et les nouveaux républicains

publié le 17/01/2025

Make America Great Again était déjà le slogan de Ronald Reagan lors de sa première campagne présidentielle victorieuse en 1980. Pourtant, ce qu’est devenu le Parti républicain sous Donald Trump n’a que peu en commun avec ce qu’il était au début des années 1980.

Par Sébastien Levi.

Des souvenirs à l'effigie de Donald Trump à Washington, DC, le 16 janvier 2025. (Photo de Kayla Bartkowski / Getty Images via AFP)

Si Donald Trump n’a pas un corpus idéologique très étoffé, il est mu par trois sujets, depuis qu’il est devenu une personnalité médiatique de premier plan : l’isolationnisme, le rejet de l’immigration et du libre-échange, la conviction que les autres pays abusent des États-Unis.

Sa toute première prise de parole en tant que candidat à la présidentielle de 2016, le 15 juin 2015, tournaient déjà autour de ces questions, qui n’allaient jamais cesser d’être ses priorités et la matrice même du trumpisme.

Lorsque Trump a démarré sa campagne en 2015, sa candidature était vue comme exotique, pas seulement en raison de sa personnalité baroque, mais aussi parce que ses propositions étaient en rupture avec l’orthodoxie républicaine prévalente, notamment depuis Ronald Reagan.

Celle-ci prévoyait une croyance en l’économie de marché, le libre-échange, une défense forte au service de la puissance américaine, le respect des alliances et des traités, et le soutien à une immigration à même de faire tourner la machine américaine. Ce rappel non exhaustif montre le contraste saisissant avec le trumpisme. 

Trump est pourtant parvenu à prendre à la hussarde le GOP, faisant venir de nouveaux électeurs qui ont non seulement changé la sociologie de son électorat (notamment des classes populaires blanches anciennement démocrates et surtout abstentionnistes) mais aussi sa plateforme programmatique. L’intuition politique géniale de Trump a ici croisé le cynisme des élus traditionnels du GOP, tous heureux de voir de nouveaux électeurs venir à lui, l’utilisant pour faire passer les seuls sujets hérités de la doxa républicaine classique, à savoir, d’un côté les baisses d’impôts pour complaire aux grands donateurs du parti, et de l’autre, l’opposition à l’avortement et un soutien affirmé à la droite israélienne, pour séduire les chrétiens évangéliques.

Sans crier gare et en moins de dix ans, le GOP, parti de la droite traditionnelle néo-libérale et conservatrice, est devenu un parti de la droite nationaliste et populiste. Il est aujourd’hui un mélange de Rassemblement National (pour sa conquête des classes populaires) et de Reconquête (pour son approche « nativiste » du pays), avec certains élus au Sénat se revendiquant de l’équivalent du LR. L’union des droites, théorisée par Patrick Buisson et reprise par Marion Maréchal, est bel et bien une réalité Outre-Atlantique…

Cette absorption pure et simple de la droite par l’extrême droite n’est pourtant pas exactement transposable en France, du fait de la différence entre les deux pays, comme le système électoral uninominal qui oblige à « choisir son camp » et qui favorise donc un bipartisme quasi absolu, ou encore le rôle redistributif de l’état bien plus fort en France et qui rend plus difficile l’adhésion des classes populaires à une politique néo-libérale anti-État.

Le paradoxe de la situation politique américaine réside dans le fait que ce parti devenu nativiste, profondément rétrograde socialement et favorable aux grandes entreprises, soit parvenu à séduire une partie significative des minorités, des jeunes, des femmes et des classes populaires avec un discours simple, voire simpliste, mais qui apparaissait comme plus authentique que le discours des démocrates, présenté comme déconnecté des réalités et élitiste, alors qu’objectivement bien plus favorable aux classes populaires et aux minorités.

Reagan avait été capable de remporter une victoire écrasante en 1984, en créant ce qu’on appelait alors les « Reagan Democrats », électeurs démocrates séduits par les résultats économiques et sa vision résolument optimiste du pays. Par une ruse dont l’histoire a le secret, son lointain successeur, légataire tout autant que liquidateur de l’héritage du reaganisme, aura lui aussi su renouveler profondément l’électorat du GOP avec un discours très différent, simpliste et alarmiste sur le pays, mais avec un même succès électoral (quoique moins fort que celui remporte par Reagan)

« Make America Great Again » aura permis, de manière très différente, de renouveler, à 40 ans d’intervalle, l’électorat républicain et de présenter un défi unique au Parti démocrate. Bill Clinton et les « nouveaux démocrates » avaient su relever le gant dans les années 90, dans la vague de la troisième voie qui avait propulsé Blair et Schroeder en Europe. Qui saura relever ce défi aujourd’hui chez les démocrates ?

Sébastien Levi