La nouvelle guerre froide
La volonté délibérée de Musk et Trump d’aboutir au shutdown, évité de justesse, a donné la mesure de la détermination du duo populiste de Washington. À la manière de Frankenstein et sa créature, ils s’en prennent désormais à l’Europe.
Les populistes d’extrême-droite ne font pas que dire. Ils font, quel qu’en soit le coût politique économique et humain. Javier Milei se moque des conséquences sociales de son remède de choc, ultra libéral, plongeant des pans entiers de la population argentine dans la misère. Musk va détruire méthodiquement les agences de l’État fédéral sur fond d’idéologie libérale libertarienne, mais il lève aussi un front international contre l’État-providence européen et les valeurs qu’il exècre.
À la faveur des crises qui agitent les principales puissances de l’UE, Elon Musk organise le chaos : soutien à l’Afd dont il déclare qu’elle est la seule formation politique allemande à pouvoir sortir le pays de son impasse – il avait déjà insulté l’actuel chancelier Olaf Scholtz sur son réseau X -, annonce d’un don de 100 millions de dollars au parti europhobe de Nigel Farage, anciennement Ukip, responsable du Brexit de 2016 conclu en 2020, lancé des insultes contre plusieurs commissaires européens de l’équipe Van Der Leyen.
Cette offensive inédite contre tout ce qui ressemble de près ou de loin à un partisan de la construction européenne et de ses institutions est l’une des déclinaisons du programme Trump, trop souvent singé en unique clown ignare et fantasque. Qu’il puisse l’être ne contredit pas qu’il poursuive une orientation de combat antidémocratique, dont la colonne vertébrale est la liquidation des solidarités instituées, des régulations économiques au nom de la puissance illimitée de l’individu et de la supériorité de la Nation sur l’universalité de l’humanité.
Le problème ne réside donc pas seulement dans la violence verbale des attaques, que dans l’absence de toute réaction des gouvernements et autorités de l’Union. Une attitude amorphe qui ressemble à une désertion partagée, en s’abritant derrière le caractère privé du réseau X. Absurde. Les démocraties européennes, déjà mises à l’épreuve pratiquement sur le front ukrainien, n’appréhendent pas correctement ce nouveau personnel politique, trop éloigné de leurs standards et de leur diplomatie feutrée. Cette absence de réaction politique est à rapprocher du caractère timide et outrageusement prudent de la BCE, adoptant le rythme d’une mer d’huile, tandis que la tempête se lève dès qu’il s’agit d’abaisser les taux pour éviter le marasme. Lorsque les coups pleuvront, l’UE, à défaut d’agir, réagira, à la condition qu’elle ne soit pas davantage paralysée après les élections législatives allemandes de février et que la situation française n’empire pas d’ici là.
Ce sombre horizon devrait sonner le réveil de la vieille Europe et lever une armée de démocrates de combat. Jusqu’alors, le boxeur européen semble groggy. Assailli par les populistes nationaux, empêtré dans les crises intérieures, l’ampleur des provocations venues d’outre-Atlantique devrait pourtant l’alerter, lui permettant de hiérarchiser ses priorités. La scène internationale et européenne surdétermine déjà les choix de demain, y compris lorsqu’il s’agit de monter – ou non – dans un attelage gouvernemental provisoire.
Le village gaulois n’est plus : avec plus de 3300 milliards de dettes et un taux d’emprunt proche de celui de la Grèce, il faut repenser les urgences avant que le vent ne se transforme en tempête. Si les derniers européens de combat, démocrates sincères, ne parviennent pas à se coordonner et à réagir aux provocations en haussant le ton, la jeune Europe, comme dans la mythologie, pourrait mourir et finir en constellation. Il ne tient qu’à elle, il ne tient qu’à nous.