La paranoïa lepéniste
Marine Le Pen récuse Xavier Bertrand comme Garde des Sceaux. Un ostracisme fort louche qui dénote une étrange conception de l’indépendance de la Justice.
C’est souvent au détour d’une phrase que les convictions profondes des leaders politiques se dévoilent. Ainsi ce veto opposé par le RN à la nomination de Xavier Bertrand dans le gouvernement Bayrou, qui a retardé, semble-t-il, la composition de la nouvelle équipe. On apprend à la faveur d’une déclaration plus ou moins officielle que les amis de Marine Le Pen tiendraient pour une provocation l’arrivée du président de la région Hauts-de-France au ministère de la Justice. Pourquoi ? Parce que Marine Le Pen passe prochainement en jugement dans l’affaire des assistants parlementaires européens indûment employés par son parti et redoutent dans cette circonstance la présence de Xavier Bertrand place Vendôme.
Cet oukase a suscité peu de commentaires, pourtant il mérite une analyse un peu plus approfondie. Ainsi, la cheffe du RN considère que la présence de Xavier Bertrand – un opposant déclaré aux lepénistes – pourrait influencer la décision des juges. Si l’on y pense un instant, voilà un raisonnement tout à fait extraordinaire : pour Marine Le Pen, il est donc entendu, évident, certain, que le ministre de la Justice, tel un montreur de marionnettes, tirera les ficelles du procès qui lui est intenté. Il ne lui vient pas à l’esprit que les juges du sièges – pourtant indépendants et inamovibles – puissent décider par eux-mêmes de la sanction qui lui sera infligée.
Cette conviction paranoïaque a deux implications : elle lui permettra, le jour venu, si elle est condamnée – ce qui est probable – de répandre la fable d’un « procès politique » manipulé par des puissances hostiles, macronistes ou issues de la droite, de manière à faire oublier à son électorat la réalité de ses agissements illégaux. Vieille ficelle utilisée par la plupart des politiques quand ils sont confondus par la justice.
Mais elle conduit aussi, de fil en aiguille, à un deuxième syllogisme : si Bertrand ministre influe sur la justice, pourquoi un autre ministre, qui serait issu du RN dans le cas d’une victoire lepéniste, ne serait-il pas fondé à l’imiter ? On voit d’ici quelle conception de l’état de droit anime en fait le RN. Déjà, il ne cesse de faire campagne contre les instances judiciaires nationales ou internationales, proclamant qu’elles doivent systématiquement plier devant la souveraineté populaire, seule détentrice de la légitimité. Ce qui augure fort mal du devenir de l’état de droit si par malheur le RN arrivait au pouvoir. La justice normale, aux yeux du RN, c’est une justice aux ordres. Et il y a toujours des bonnes âmes pour se demander pourquoi les démocrates persistent à classer la Rassemblement national dans la catégorie des partis anti-républicains…