La promesse d’un monde invivable
Il est des événements dont l’histoire ne mesure la portée qu’après coup. La promulgation de One Big Beautiful Bill coche toutes les cases d’un événement majeur. Encore faut-il en prendre la mesure pour résister à cette époque fondée sur la promesse folle de Trump, Orban et consorts, celle d’un monde tout simplement invivable.

Jusqu’alors les MAGA et leurs proxy idéologiques accumulaient échecs retentissants et victoires piteuses sur la lancée de leur mentor erratique, le Néron des Amériques. Nous n’étions pas, écrivions-nous à juste raison, dans la situation d’Octobre 1922 en Italie ou de janvier 1933 en Allemagne. Un saut qualitatif s’est cependant produit avec cette loi manifeste, dévastatrice pour l’ordre économique, loi raciste contre les migrants et loi meurtrière pour les libertés démocratiques.
Un texte adopté par le Congrès des États-Unis sans risque de recours, condamné au silence par une Cour suprême complice. Et derrière les facéties du bouffon, l’ombre portée du fascisme, celle de son Vice-Président, J. D. Vance. Cela ne signifie pas que le fascisme a triomphé outre-Atlantique, mais un acte fondateur y a été posé.
Dévastation de l’ordre économique mondial parce que la mondialisation, – « heureuse » ou pas, ce n’est pas la question – chèrement acquise dans la période précédente, est battue en brèche. La loi de la jungle est promue en art de gouverner à Washington comme à Pékin. La course à l’abîme par un gonflement sans précédent de la dette souveraine américaine – le ration dette sur PIB pouvant tangenter les 500 % – induit un risque de big bang par effondrement, dont l’effet de souffle balaierait la planète financière et par voie de contagion l’économie mondiale. Et quand bien même le pire ne se produirait pas, la voie est grande-ouverte pour les basses œuvres de fonds souverains prédateurs échappant à tout contrôle, à toute régulation multilatérale, s’ajoutant à celles des fonds privés spéculatifs.
Ils gèrent déjà approximativement treize mille milliards de dollars, sous le drapeau de nationalismes primaires, souvent dans la plus grande opacité sur leurs actifs, drapeau déployé ou plus discrètement, voire secrètement. Trump a créé celui de Washington. Celui d’Oslo, le plus gros, est transparent mais c’est l’exception qui confirme la règle. Objectif, spolier le voisin pour s’enrichir. Le capitalisme du XXIe siècle n’inaugure pas un nouvel âge, le énième, d’or ou de fer blanc, il mute vers la pire expression de son histoire qui conjuguerait tout à la fois la dimension compradores des proxys avec la puissance d’États militarisés à leur solde. La haine véhiculée contre l’étranger, les scientifiques, les institutions démocratiques, l’adaptation au réchauffement climatique et tout ce qui les gêne en est l’habillage idéologique. Un retour, en quelque sorte, au temps des comptoirs et autres colonies si l’humanité dans sa diversité laissait faire.
De cette sombre menace, il ne fut pas vraiment question aux Rencontres d’Aix-en-Provence, à l’initiative du Cercle des économistes. On n’y prit que bien imparfaitement la mesure du visage grimaçant de l’Oncle Sam et de ses turpitudes. Certes l’on dénonça telle ou telle mesure, sa logique dangereuse souvent pour déplorer dans un pessimisme ambiant nos faiblesses économiques à nous autres Européens et singulièrement Français. Déficit de productivité, retards à l’allumage innovateur, décrochage éducationnel, contraintes des atmosphères culturelles nationalistes mais sans vison politique globale en dépit de la casquette du Gouverneur de la Banque de France Make Europe Great Again. Il en faudra davantage pour se mettre en ordre de bataille démocratique avec un programme de reconstruction d’un ordre mondial « respirable » contre Trump, Vance et leurs sbires.