La revanche de « l’Art dégénéré » 

par Thierry Gandillot |  publié le 21/02/2025

Au musée Picasso, la première exposition en France consacrée à l’Art dit « dégénéré » explore l’attaque méthodique du régime nazi contre l’art moderne et les génies des années 1930.

Tableau de l'artiste allemand Joseph Haubrich, exposé lors d'une avant-première presse de l'exposition "L'Art Dégénéré" au Musée Picasso, à Paris, le 12 février 2025.(Photo de Stéphane de Sakutin / AFP)

 En 1928, la Kunsthalle de Manheim acquiert une toile de Marc Chagall : « La Prisée ». Ce tableau avait été exécuté d’après une nouvelle de l’écrivain yiddish Isaac Leib Peretz, dans laquelle un rabbin vend son âme au diable pour une pincée de tabac. Mais en 1933, Mannheim est le théâtre d’une violente campagne de dénigrement de l’art moderne voulue par Hitler et orchestrée par les nazis. Incarnation de la culture juive, la toile est traînée dans les rues de la ville, avec ce message : « Vous qui payez des taxes, vous devriez savoir où votre argent est dépensé. »

La campagne contre « L’Art dégénéré » débute en 1933 pour ne s’achever qu’à la capitulation de 1945. Mais si on regarde l’origine de cette campagne, il faut remonter plus en amont dans l’histoire des idées, ce que montre l’exposition du musée Picasso. En 1892, paraît en effet l’ouvrage Entartung (Dégénérescence), de Max Nordau. En 1928, l’architecte allemand Paul Schutze-Naumburg, publie Kunst und Rasse (L’Art et la Race). Et le 11 avril 1933, l’école d’art du Bauhaus est fermée par les nazis.

En un peu plus d’une décennie, pas moins de 1400 artistes subissent les foudres nazies. Ils appartiennent à tous les courants représentant une certaine forme de modernité – de l’expressionnisme à Dada, de la Nouvelle Objectivité à l’abstraction. Parmi les plus célèbres :  Picasso, Van Gogh, Kandinsky, Chagall, Matisse, Gauguin, Nolde, Grosz, Chagall, Dix …  

Leurs œuvres sont retirées des musées, montrées dans des expositions infamantes, ou plus fréquemment détruites. Les artistes, affublés de l’étiquette de « dégénérés » sont livrés à la vindicte populaire, insultés, chassés des universités, dégradés publiquement, emprisonnés ou déportés.

L’opération de dénigrement culmine le 19 juillet 1937 avec l’exposition « Entartete « Kunst » » – on notera les guillemets posés à Kunst (Art). Les slogans qui accompagnent les œuvres sont censées révéler « la dégénérescence de l’âme juive » ou le « sabotage délibéré des forces armées ».  Sept cents œuvres sont exposées et deux millions de personnes viendront à Munich la visiter.

Certaines échappent toutefois à la destruction pour faire l’objet de sombres tractations entre l’État allemand, des intermédiaires peu scrupuleux et des collectionneurs peu regardants. Goebbels est à la manœuvre. En 1937, il crée la « Commission pour l’exploitation des produits de l’art dégénéré » qu’il préside. La dite commission a pour tâche de sélectionner les œuvres « exploitables à l’échelle internationale ». Quatre marchands se partagent sans scrupule le marché. Parmi eux, Hildebrant Gurlitt se voit confier 3879 œuvres.

En 1939, la galerie Fischer de Lucerne, organise une vente sobrement intitulée « Tableaux et sculptures de maîtres modernes provenant de musées allemands », au cours de laquelle 125 œuvres de Van Gogh, Gauguin, Picasso ou Matisse sont mises aux enchères. À cette occasion, Otto Dix écrit à Otto Köhler : « Mon buste de Nietzsche est évalué à 400 livres anglaises. Ce qui est intéressant dans cette histoire, c’est que j’ai offert cette sculpture au musée municipal de Dresde, mais comme maintenant je suis « dégénéré », on la bazarde au prix fort à l’étranger. Au fond, je suis très content de tout ceci, car ici [en Allemagne] les choses ne sont plus à l’abri de la destruction. »  Ce buste, de soixante centimètres en plâtre teinté de vert, a été vendu à Lucerne par la galerie Fischer. On a depuis perdu sa trace …

L’Art « dégénéré » au musée Picasso : Le procès de l’art moderne sous le nazisme

Jusqu’au 25 mai 2025, de 9h30 à 18h, du mardi au dimanche

Thierry Gandillot

Chroniqueur cinéma culture