La rhétorique de Trump face au réel

par Boris Enet |  publié le 27/06/2025

La dernière séquence des relations internationales laisse pendantes nombre de questions sur l’architecture des rapports de force, leurs modifications et leurs possibles évolutions. Urgente tâche d’analyse brouillée par la tendance d’une époque à la facilité des raccourcis quand ce n’est pas la vacuité des postures et autres approximations de communicants en mal de sensationnel. 

Donald Trump s'adresse aux journalistes avant de monter à bord de l'hélicoptère présidentiel et de quitter la Maison Blanche le 24 juin 2025 à Washington, DC. Moins de 12 heures après l'annonce d'un cessez-le-feu entre Israël et l'Iran, Trump se rend aux Pays-Bas pour assister au sommet des dirigeants de l'OTAN. (Photo de Chip Somodevilla / Getty Images via AFP)

Le XXIème siècle a connu sa première action de guerre « mondiale » avec les frappes américaines en Iran. Non que des guerres locales ou régionales, plus ou moins circonscrites n’aient pas eu lieu avant ces bombardements. Elles ont même été particulièrement nombreuses depuis deux décennies, de Gaza à celles de Poutine en passant par les conflits souvent oubliés en Afrique ou en Asie. La différence réside dans le fait que le coup de Trump visait, ni plus ni moins, à changer les rapports de force planétaires. Il prétend y être parvenu tout comme Khamenei prétend le contraire. Entre le guide des MAGA et le roi des mollahs, les faits ne prêtent guère à discussion. Le premier l’a emporté militairement tandis que le second a été défait en quelques trente-six heures. Et après ?

Trump et son Amérique d’avant-hier se saoulent au fantasme d’une puissance impériale qui n’aurait plus à se soucier que de ses seuls intérêts qu’elle imposerait à coups de décrets et autres actions de force. C’est oublier que la domination sans partage est par définition une folie, à plus forte raison quand l’on ne produit, contrôle ou maîtrise qu’un peu plus de 20 % des richesses de l’humanité. La bataille des droits de douane en est la confirmation sans appel.

Israël, de son côté, a acquis une autonomie sans précédent par rapport à son protecteur. Trump, Hegseth ou Vance en s’attribuant jusqu’au travail du Mossad, ne sauraient le masquer. C’est faire fi des relations aux autres qui, sous le signe de la bonne volonté apparente, voire de la soumission formelle, feront tout pour contrarier le dessein impérialiste. Le sommet de l’OTAN en donne la mesure. L’Europe a fait semblant, tout en commençant à modifier les circuits commerciaux des industries militaires. Poutine, lui, a montré à un autre niveau, combien Trump était faible et manipulable. Sans la volonté farouche des Ukrainiens soutenus par les Européens, il l’aurait emporté au « dîner de cons » organisé par son homologue américain.

Mais le pire est promis à celui qui a voulu jouer avec le feu sans moyens de lutte contre l’incendie. François Heisbourg, président du conseil d’administration de la Fondation pour la recherche stratégique, va jusqu’à évoquer un « suicide. » … par inadvertance, incompétence, stupidité ? Trump peut brûler ici ou là, provoquer des séismes politiques aux conséquences imprévisibles, il n’en touchera pas de dividendes politiques, du moins durablement. Tous et chacun l’attendent au tournant et parient désormais, sans trop le dire, sur le plus grave échec d’un Président américain, honni et réduit à sa sinistre rhétorique.

Les dégâts de cette grande délinquance internationale n’en sont pas moins considérables. Nombre des monuments, us et coutumes de la période ouverte en 1947 sont endommagés. Les rénover, les reconstruire ne sera pas aisé sans une croissance économique généreuse et forcément mondialisée. Il en va ainsi d’une gouvernance planétaire réformée et plus inclusive, d’un multilatéralisme équilibré au plan régional comme au plan mondial, d’un effort sans précédent pour résorber les inégalités de développement rendues plus existentielles par le risque climatique, les discriminations invalidantes et promouvoir une égalité des droits porteuse de progrès social, éducatif et culturel. Un combat protéiforme et commun aux sociétés civiles et à leurs représentants démocratiques pour liquider l’héritage de l’idiot, inutile et dangereux.

Boris Enet