La Serbie vacille mais ne rompt pas

par Malik Henni |  publié le 07/02/2025

Même si l’on en parle peu dans les journaux français, la Serbie connait un mouvement contestataire certain, mais pas encore explosif, contre le Président Aleksandar Vucic.

Le président serbe Aleksandar Vucic lors d'un rassemblement pro-gouvernemental dans la ville de Jagodina, dans le centre de la Serbie, le 24 janvier 2025. "La Serbie est attaquée à la fois à l'intérieur et à l'extérieur" du pays, a déclaré Vucic à la foule. (Photo de Sasa Djordjevic / AFP)

Le déclencheur de la crise a été un sentiment mêlé de choc, de stupeur et de colère suite à l’effondrement de l’auvent de la gare de Novi Sad le 1er novembre dernier, causant 15 morts. Problème : ce dernier venait d’être rénové par une entreprise chinoise pour 55 millions d’euros. La corruption et le clientélisme, qui atteignent des niveaux inégalés dans ce pays des Balkans aux relations compliqués avec l’Occident, sont directement pointés comme responsable par les citoyens qui réclament un grand coup de balai.

Il convient pourtant de dire ce que ce mouvement n’est pas « l’Euromaïdan » de la Serbie, pays réputé proche de la Russie et de la Chine. 

Voici l’état des lieux : Aleksandar Vucic a été réélu l’an dernier en contournant la loi électorale, faisant venir des bus entiers de Serbes de Bosnie pour s’assurer la victoire. La gare de Novi Sad est censée être un nœud de communication des Nouvelles routes de la Soie chinoises, un point d’étape important de la ligne à Grande vitesse Budapest – Belgrade. Les liens avec Moscou sont distendus : plusieurs contrats d’armement ont été annulés avec le Kremlin en janvier dernier et Belgrade avait condamné l’invasion de l’Ukraine sans toutefois suivre l’Union Européenne dans ses sanctions. Notons à ce titre que l’UE est le premier partenaire économique de la Serbie avec 60% des échanges. Cela expliquerait d’ailleurs le silence gênant de l’Union, si prompte à dénoncer, condamner, pointer les plus petites mesquineries de régimes lointains, mais aveugle à ce qui se passe sur le pas de sa porte. 

L’autoritaire et nationaliste Vucic, homme fort du pays depuis 2012 et qui n’a aucune intention de passer la main, a accusé les manifestants d’être des agents payés par l’Occident. La vieille ritournelle ne prend plus car les Serbes ne demandent pas des changements politiciens, mais bien une toute nouvelle philosophie : celle d’institutions qui ne seraient plus captées par des intérêts privés, mais œuvraient pour l’ensemble des citoyens. Le mouvement, sans chef identifiable, demande le jugement des responsables du désastre, l’amnistie pour les manifestants arrêtés et la hausse des investissements dans l’éducation. Plus de 100.000 personnes auraient battu le pavé régulièrement depuis trois mois.

La crise ne faiblit pas, malgré le départ du Premier ministre Milos Vucevic, prévisible fusible. Les occupations de ministères se sont multipliées, les trois ponts de Novi Sad sont régulièrement bloqués par les étudiants, les cortèges de manifestants continuent d’essaimer et débordent des frontières jusqu’à toucher les Serbes de Bosnie. 

L’histoire des rébellions étudiantes en Serbie est ancienne, et Vucic sait qu’il n’a pas affaire à un simple feu de paille. Il a même fait référence aux manifestations de 1968 : « Je n’étais pas le camarade Tito et je ne m’apprête pas à dire que certains ont raison et d’autres ont tort ». Le leader des partisans yougoslaves, qui n’était pas tout à fait un habitué des exercices d’auto-critiques, avait admis des erreurs et tendu la main aux étudiants. 

Aujourd’hui en Serbie, tout le monde a une raison de manifester. Un vaste boycott des magasins a été instauré depuis le 1er janvier pour dénoncer l’inflation, le pays se désindustrialise et les militants écologistes refusent violemment l’ouverture d’une mine de lithium nécessaire pour l’industrie automobile allemande. Vingt-cinq ans après la révolution de couleur qui a mis à bas Milosevic, la coalition des mécontentements transformera-t-elle à nouveau un peuple révolté en peuple révolutionnaire ?

Malik Henni