La Syrie dans un étau

par Pierre Benoit |  publié le 27/04/2025

Offensive politique turque au nord et pressions militaires israéliennes au sud : le nouveau régime syrien doit louvoyer entre deux menaces redoutables. Au risque de voir sa transition enrayée…

Le chef d'état-major général des Forces de défense israéliennes, Eyal Zamir (au centre), effectue une visite sur le terrain avec les hauts commandants de l'armée israélienne en Syrie, le 21 avril 2025. (Photo par Forces de défense israéliennes (FDI) / Anadolu via AFP)

Il n’y aura pas eu de trêve pour la Syrie post-Assad. Dès le 8 décembre, au lendemain de la chute du dictateur, Israël a lancé des frappes. Leurs cibles : les installations militaires de l’ancien régime, notamment les réserves d’armes chimiques qui avait été utilisées par Assad contre ses opposants.

Après ce « nettoyage » salutaire, les raids israéliens ont pris l’allure d’une véritable campagne aérienne avec plus de 700 bombardements en quatre mois. Les cibles plus importantes étaient la base aérienne de T4 dans la province de Homs, celle de Palmyre et l’aéroport militaire de la ville de Hama. Les frappes s’inscrivaient selon un axe ouest-est. Le ciblage de ces positions indique que Jérusalem veut garder la maîtrise du ciel syrien afin, le cas échéant, de permettre à la chasse israélienne d’aller frapper l’Iran.

Au passage, Damas redécouvre dans la douleur sa position géostratégique : un pays charnière entre la côte méditerranéenne et l’arc ottoman, mais aussi la voisine du Liban et surtout d’Israël.

Le premier message adressé par l’aviation israélienne visait d’abord la Turquie. La préparation d’un accord de défense stratégique entre Damas et Ankara est, en effet, suivie de très près à Jérusalem. Il est question d’offrir à Damas une couverture aérienne dont elle ne dispose pas aujourd’hui, des techniciens turcs sont déjà à pied d’œuvre pour réhabiliter les installations aériennes endommagées par les raids israéliens du début de l’année. Le ministre israélien des affaires étrangères, Gideon Saar, répète à l’envi que la Turquie joue « un rôle négatif » en Syrie comme au Liban.

Tout le monde sait que la Turquie a accompagné en novembre l’offensive des rebelles islamistes emmené par groupe Hayat Tahir al Cham (HTC) sous les ordres de al-Charaa, aujourd’hui président intérimaire du pays. Après leur victoire, le ministre turc des affaires étrangères, Hakan Fidan, fut le premier responsable étranger à faire le voyage de Damas.

La proximité entre le nouveau pouvoir syrien et Ankara ne fait aucun doute. Mais la diplomatie israélienne et le Mossad dramatisent cette situation allant jusqu’à parler du projet de créer en Syrie « un protectorat turc ». Ils expliquent que la menace sur le front nord d’Israël n’a pas changé : pendant la guerre civile syrienne, le Hezbollah libanais était venu prêter main forte au régime d’Assad qui laissait passer les armes frappant la région de Haïfa. Après la guerre civile, les islamistes sont au pouvoir à Damas, la dissuasion reste de mise.

Occupé par Israël depuis 1967 avant d’être annexé en 1981, le plateau du Golan est sous haute tension. Netanyahou a décidé une démilitarisation complète du sud-syrien, à l’identique de celle qu’il préconise au sud du Liban.

Sur le Golan, une zone tampon d’une dizaine de kilomètres vient d’être mise en place. A plusieurs reprises, des blindés israéliens ont opéré des incursions au-delà de cette bande des 10 kilomètres. Il y a eu des affrontements avec des milices syriennes locales. On a déjà dénombré 130 opérations militaires à partir de cette zone tampon. Les responsables provinciaux de Deraa ont indiqué que neuf personnes avaient été tuées en mars.

Le ministre de la défense Israël Katz précise que les blindés israéliens resteront dans la zone tampon, la présence d’armes constituant « une menace pour Israël ».

Tous les gouvernements israéliens se sont accommodés de la tyrannie syrienne. Le calcul était simple : mieux valait une dictature avec laquelle on pouvait établir des règles du jeu, que de voir arriver au pouvoir à Damas des djihadistes pouvant transformer le pays en base arrière susceptible d’attaquer Israël. Ainsi, pendant près de quarante ans, le calme a régné sur le plateau du Golan.

Aujourd’hui la Syrie amorce une transition périlleuse, comme l’atteste la soif de vengeance qui s’est exprimée en mars dernier contre la communauté alaouite et qui avait causé la mort de 1600 victimes. Prise en tenaille au nord par une diplomatie turque à l’offensive après le départ de Bachar el-Assad et les pressions militaires israéliennes au sud, la transition démocratique syrienne pourrait s’enrayer rapidement.

Pierre Benoit