La trumpisation des réseaux sociaux est en marche

par Sylvie Pierre-Brossolette |  publié le 09/01/2025

Offensives politiques sur X en Allemagne et en Grande-Bretagne, fin de la vérification des informations sur Facebook, Commission européenne tétanisée : les libertés sont menacées par un secteur numérique incontrôlé.

Dessin de Bendak

Il ne manquait que lui à la liste des patrons des GAFA ayant capitulé devant Donald Trump : Mark Zuckerberg, patron de Meta qui contrôle Facebook, vient d’annoncer, au nom de la liberté d’expression (ne riez pas !) qu’il enterrait sa politique de fact-checking, de lutte contre les détournements électoraux et de filtrage des contenus racistes et homophobes. La liberté version libertarienne, prônée par le président élu américain, a fait une nouvelle victime, la plus grande plateforme sociale occidentale. Un tremblement de terre.

Car ce ralliement de Zuckerberg au trumpisme ajoute à l’angoisse des démocraties déjà défiés par les ingérences incroyables d’Elon Musk via son réseau X. Ce jeudi 9 janvier a lieu en direct sur X la grande interview menée par Musk lui-même de la candidate aux élections législatives allemandes, Alice Weidel, co-présidente de l’AFD, parti d’extrême droite outre Rhin. Son appui massif à l’AFD se double d’une campagne de dénigrement du Premier ministre Olaf Scholtz, qualifié de « fou » et d’« imbécile incompétent », le chef de l’Etat étant, lui, traité de « tyran ». Deux poids lourds du Parlement européen ont écrit à la commission de Bruxelles pour protester contre cette ingérence insupportable. On attend une réponse concrète…

Un autre pays subit les foudres du terrible M. Musk, le Royaume Uni. Là, le Premier ministre travailliste Keir Starmer est la cible des pires accusations. Dans le scandale des « grooming gangs », groupes de violeurs composés de britanniques d’origine pakistanaise qui ont fait des milliers de jeunes victimes, Musk pointe l’inaction supposée de Starmer lorsqu’il était directeur des poursuites pénales, et qu’il aurait craint de se faire accuser de racisme (une accusation très contestée). « Une honte nationale », tonne Musk sur X. La sous-secrétaire d’Etat chargée de la protection des victimes, Jess Philipps, est également attaquée pour « apologie du génocide par le viol ». Le dirigeant anglais a fini par réagir faiblement en dénonçant « ceux qui répandent des mensonges et des informations erronées ». Il n’a même pas nommé le coupable…

La frilosité des réactions en dit long sur le pouvoir exorbitant d’Elon Musk et la difficulté à contrôler les réseaux sociaux. Interrogée sur la décision de Meta, la commission européenne a répondu qu’elle ne se mêlait pas de « quelque chose qui se passe au États-Unis ». Comme si l’Europe n’était pas menacée de subir le même sort que Facebook outre-atlantique. Certes, notre DSA (Digital Service Act) est supposé réguler le secteur numérique dans l’Union. Mais les procédures de sanction sont extrêmement longues à instruire. Et l’objet de poursuites limité. Même réaction aux abonnés absents de Bruxelles au sujet de X, contre qui une instruction est ouverte depuis décembre 2023. La commission indique que « le travail technique n’est pas terminé, donc aucun décision politique ne peut être prise ». Désespérant.

Combien de temps va-t-on tolérer la dictature de réseaux sociaux insuffisamment régulés ? En France, qui risque d’être la prochaine cible, Emmanuel Macron a clamé son inquiétude et réclamé une riposte lors de la trentième conférence des ambassadeurs : « Voilà dix ans, si on nous avait dit que le propriétaire d’un des plus grands réseaux sociaux du monde soutiendrait une nouvelle internationale réactionnaire, qui l’aurait imaginé ? ». On y est. Et cela ne peut plus durer. Que fait donc Ursula von der Leyen, décidément bien tendre avec les plateformes ? Il est temps qu’elle se réveille et que l’Europe prouve qu’elle existe…

Sylvie Pierre-Brossolette

Sylvie Pierre-Brossolette

Chroniqueuse