L’Afrique sacrifiée
Les droits de douane supplémentaires imposés par Donald Trump le 2 avril pour tout produit entrant aux États-Unis ne frappent pas seulement les grandes puissances, mais aussi les pays en voie de développement. Tentative de décryptage d’une étrange décision pour les pays africains.
La plupart des pays africains héritent d’un droit de douane supplémentaire de 10% qui correspond en général à celui qu’imposait le pays aux exportations venues des États-Unis. Principe de réciprocité pourrait-on dire, à l’instar de Trump et de ses émules, en oubliant tout principe de solidarité internationale. Mais, pour quelques-uns l’addition est beaucoup plus lourde et présente même des aspects qui ne se réduisent pas à une question d’équilibre économique réciproque.
À première vue, on peut s’étonner de pareille décision. Vu globalement, le commerce africain avec les États-Unis ne représente qu’une part marginale du commerce international de ces derniers, et ne peut pas non plus être considéré comme une menace ou une perte substantielle pour eux. Inversement, l’Afrique apparaît plutôt aux yeux du monde comme pourvoyeuse potentielle de nombreux minerais, dont les minerais les plus stratégiques en provenance par exemple du Katanga en RDC.
La décision de Trump peut ainsi sembler paradoxale, sinon absurde. On pourrait en effet penser qu’un libre-échange accru entre les États-Unis et l’Afrique ouvrirait à ces derniers une voie royale vers les matériaux stratégiques. Alors pourquoi ?
La première hypothèse est celle portant sur des pays s’étant eux-mêmes protégés des importations américaines. C’est le cas, par exemple, de deux pays producteurs de pétrole et de gaz comme l’Algérie ou la Guinée-Équatoriale. Ce dernier étant censé imposer une taxe de 25% sur les importations américaines, Trump réplique avec une taxe « réciproque » presque modérée de 13%. Avec l’Algérie, les taux sont plus lourds, 58% pour les importations américaines, en retour une surtaxe américaine de 30%. Dans ce dernier cas, on ne peut manquer de lire une évidente position politique de part et d’autre, Alger n’étant pratiquement jamais aligné sur Washington.
Pour la RDC, la Côte d’Ivoire, mais aussi le Cameroun ou le Tchad, autres pays africains importants et francophones, le mécanisme est comparable. Tous quatre sont considérés par Trump comme ayant érigé des barrières à l’entrée des produits américains, importantes parfois (22% pour le Cameroun et la RDC, 26% pour le Tchad, 41% pour la Côte d’Ivoire). La riposte trumpienne est aussi lourde : une surtaxe de 21% ! La dimension politique n’est probablement pas absente du calcul de la Maison Blanche qui doit voir la RDC comme sous influence chinoise excessive, malgré les efforts de son président Félix Tsishekedi pour se rapprocher des États-Unis. Quant à la Côte d’Ivoire, au Cameroun, voire au Tchad, leur proximité avec la France et l’Union Européenne peut jouer en leur défaveur.
Il en va de même pour Madagascar qui se voit infliger une des surtaxes le plus lourdes (47%) de manière tout aussi surprenante, sauf si les États-Unis se mettent à produire de la vanille !
Les pays anglophones semblent un peu mieux traités, à l’instar de ce qui a prévalu pour le Royaume-Uni. Sauf l’Afrique du Sud que l’on aurait pu croire chère au cœur d’Elon Musk. Mais elle est frappée d’une lourde taxe supplémentaire de 30%. Trop proche de Pékin et de Moscou, comme un des premiers membres des BRICS.
Reste le cas encore plus étrange du Lesotho, le pays le plus lourdement surtaxé du continent (50%). Ce petit royaume d’Afrique australe, de moins de deux millions d’habitants et grand comme la Belgique est surtout connu comme le principal exportateur de jeans vers les États-Unis. Une menace à relativiser donc ! Peut-être Trump veut-il réimplanter l’industrie du jean au Texas ? Mais il se dit aussi que lors d’un discours précédent, Trump aurait fustigé l’aide apportée à la communauté LGBT du pays…
À ce stade, on peut donc penser que le traité de libre-échange entre les États-Unis et l’Afrique (AGOA) va, de facto, être supprimé à quelques mois de son échéance. Le saut vers l’inconnu…