L’agonie flamboyante
Aidé par Tilda Swinton et Julian Moore, Almodovar signe un de ses meilleurs films, en couleurs vives, mais plus proche de Bergman que de la Movida.
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Oubliez tout ce que le nom de Pedro Almodovar et sa filmographie branchée déglinguée évoque encore pour vous. Oubliez la Movida, Madrid et les années 80, Talons aiguilles, Attache-moi, Femmes au bord de la crise de nerf, Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier. Avec l’âge (75 ans), Pedro s’est calmé. Dans La Chambre d’à côté, il revient aux fondamentaux du cinéma de l’austère Bergman – oui, il cite Persona au détour d’un plan.
Le sujet – l’euthanasie – se prête à la gravité. L’ex-hystérique de la Movida admet volontiers ce changement de focale : « Je suis tout à fait conscient que ce film est particulièrement austère, contenu, sobre, avoue-t-il dans l’entretien au long cours qu’il donne à la revue Positif. Je tenais à cette sobriété. La principale raison, c’est que dès que l’on parle de la mort et de personnages à l’agonie, on peut facilement tomber dans le mélodrame. Or, je tenais à tout prix à éviter tout sentimentalisme. Je ne voulais pas que cette relation entre deux amies soit « cul-cul la praline « , ni que le film devienne » sentimentaloïde ». »
Deux amies, donc. L’une meurt, l’autre pas. Martha (Tilda Swinton) est une ancienne reporter de guerre. Elle était sur tous les fronts, les plus dangereux, et ses photos ont fait le tour du monde. Quand elle apprend que le cancer l’a rattrapé et qu’elle doit envisager le pire, elle contacte quelques amies, qui toutes se défilent.
Par hasard, au détour d’une signature en librairie, Ingrid (Julian Moore), romancière à succès, apprend la maladie de Martha. Les deux femmes ne se sont pas vues depuis longtemps. Martha a arpenté les lignes de front au péril de sa vie ; Ingrid a exploré les voies de l’autofiction. Mais à l’annonce, fortuite, de la maladie, de Martha, Ingrid se rend sans hésiter au chevet de son amie qui va mourir. Et, plus qu’aucune autre, se rapproche, s’implique, se démène.
Jusqu’au jour où Martha lui annonce qu’elle a décidé d’en finir, avant de déchoir. Et lui demande d’être sa complice des dernières heures de sa vie. Martha a acheté sur le darknet un cachet létal. Ingrid n’aura juste qu’à être là, près d’elle dans La chambre d’à côté. La porte en sera toujours ouverte. Si elle est fermée, c’est qu’Ingrid en aura fini avec la vie.
Après bien des hésitations, Ingrid accepte. Et les deux femmes partent s’installer dans une superbe villa moderne dans le style de Franck Lloyd Wright, à deux heures de route au nord New York. C’est l’été indien, la nature est flamboyante. Parfois, quand les deux femmes s’allongent sur leurs transats, au bord de la piscine, on se croirait dans l’une des célèbres peintures de Hopper. Almodovar revendique d’ailleurs l’inspiration : « Dans la colorimétrie, j’emploie toujours la même palette de couleurs vibrantes : le rouge, le jaune, le vert. Lorsque Martha et Ingrid, s’allongent sur les chaises longues, oui, j’ai pensé à la toile de Hopper. Et j’ai réalisé que les personnages sur le tableau semblent morts. Il n’y a aucun mouvement dans cette œuvre de Hopper. De plus, j’aime beaucoup la lumière de la Nouvelle-Angleterre où j’ai tourné le film. »
Rouge, jaune et vert : c’est peut-être cela, la couleur de la mort. La Chambre d’à côté est, en tout cas, l’un des meilleurs films de Pedro Almodovar – post-movida, bien sûr …
La chambre d’à côté, de Pedro Almodovar, avec Tilda Swinton, Julian Moore, John Turturo, Estelle Rose, 1h47