L’Asie du Sud-est fait de la résistance
Le milliardaire américain veut contraindre chacun des états à négocier individuellement. Mais les grands blocs économiques continentaux ne sont pas pressés de se rendre à Canossa. En témoigne la réponse de l’ASEAN, en Asie du Sud-Est.

Cette vaste zone économique de 640 millions d’habitants, qui comprend tous les états de la région, de la Thaïlande à l’Indonésie en passant par le Vietnam et les Philippines, a l’ambition de devenir la quatrième économie mondiale avant 2030. Portée par les exportations, sa croissance a longtemps bénéficié de la hausse de la demande chinoise, avant de se tourner vers les États-Unis : en un an, les exportations vers ce pays ont augmenté de 11%.
Dans l’affrontement sino-américain, l’ASEAN est officiellement neutre, même si sa proximité culturelle, géographique et économique avec la Chine la rend dépendante de ses investissements. La situation est très hétérogène, entre le Cambodge, où le Premier ministre est directement inféodé à Pékin et le Vietnam, farouche défenseur de son indépendance.
La méthode de calcul ubuesque de l’administration américaine a pour conséquence de punir plus fortement les pays en fort excédent commercial : l’ASEAN est directement visée. Face aux tarifs douaniers américains, la réponse de l’ASEAN sera unifiée ou ne sera pas. Ainsi, le Premier ministre malaisien Anwar Ibrahim insiste sur la nécessité d’une réponse concertée.
Le Vietnam est particulièrement touché, alors que le secrétaire général du Parti communiste, To Lam, pensait avoir obtenu un deal avec la Maison Blanche, ce que Washington a rapidement démenti. Hanoï quémande un délai de 45 jours pour la mise en place des nouveaux droits de douane, preuve que le pays n’est pas prêt à encaisser le choc. A Singapour, le Premier ministre Lawrence Wong s’est adressé à ses citoyens la mine grave, regard braqué sur la caméra : « L’ère de la mondialisation et du libre-échange fondés sur des règles est révolue. Nous entrons dans une nouvelle phase, plus arbitraire, plus protectionniste et plus dangereuse. »
L’ASEAN a étendu sa zone de libre-échange en 2022 en créant le RCEP (partenariat économique régional global) avec la Chine, la Corée du Sud, le Japon, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Les états membres de la plus grande zone de libre-échange du monde souhaitent développer le commerce intra-zone pour ne plus être dépendant des décisions erratiques de Washington. C’est d’ailleurs le sens à donner à la réunion des trois ministres du Commerce sud-coréen, japonais et chinois, la première depuis cinq ans. L’Asahi Shimbun, l’un des quotidiens japonais les plus lus, a toujours été un clair soutien de l’alliance nippo-américaine : aujourd’hui, les éditoriaux s’y multiplient pour appeler à ne plus dépendre des Etats-Unis. Pour la voix des milieux d’affaires, le Japan Time, le résultat est écrit d’avance : « les tarifs douaniers de Donald Trump vont accélérer le déclin de l’Amérique ».