Le bal des egos
Jamais la vie politique n’a été aussi fracturée. L’absence de majorité à l’Assemblée nationale conjuguée aux ambitions individuelles pour la prochaine présidentielle, produit un imbroglio qui énerve les Français.
A droite, les acteurs jouent à front renversé. On attendait un Michel Barnier très droitier, tendance les Républicains, gouvernant sous la surveillance du Rassemblement National, et le voilà qui mène une politique économique que la gauche aurait du mal à renier. La juste hausse annoncée de 20 milliards d’euros d’impôts, ciblée sur les grandes entreprises et les revenus les plus élevés, n’est pas aisée à critiquer.
De façon surprenante, c’est l’alliance du bloc central constituée de Gérald Darmanin et Gabriel Attal qui, opportunément réconciliés pour l’occasion, lance la contre-offensive et demande à Michel Barnier de renoncer à augmenter les impôts, sous le prétexte que le gouvernement contredirait la politique qu’ils ont menée. Cette attitude, qui nie leur double échec de la politique de l’offre et de leur troisième position aux élections législatives, les placent encore plus à droite sur l’échiquier que le gouvernement qu’ils prétendent recadrer.
En refusant les hausses d’impôts, et en réclamant pour les remplacer la mise en œuvre de l’injuste réforme de l’assurance-chômage qui veut raccourcir les délais pendant lesquels les chômeurs sont remboursés ; en proposant la suppression d’un jour férié et la remise en cause des 35 heures, ils n’ont plus rien de central mais dérivent au contraire dangereusement vers la droite. Michel Barnier apparaît dès lors comme plus centriste qu’eux d’autant plus qu’il laisse volontiers à Bruno Retailleau le sale boulot de satisfaire le Rassemblement National, en demandant aux préfets de durcir leurs critères sur l’immigration.
Que se cache-t-il derrière ces attaques intempestives au moment où, inquiets de la dégradation soudaine de la situation économique, les Français demandent qu’on laisse au gouvernement Barnier la chance de redresser le pays ? Il y a fort à parier que Darmanin et Attal font figure de deux bruyants agitateurs, davantage guidés par leurs ambitions présidentielles que par l’intérêt général de la France.
A gauche, les Français ne s’y retrouvent pas davantage. Ils viennent d’assister à une curieuse séquence où chacun a cherché à tirer la couverture à soi. Cela a commencé par les universités d’été du Parti socialiste où deux clans opposés se sont affrontés : Olivier Faure et le Nouveau Front Populaire d’un côté, ses adversaires sous la houlette de Nicolas Mayer-Rossignol et Hélène Geoffroy de l’autre. Cela a continué avec le bal des personnalités à Bram ou Carole Delga n’a pas caché constituer une structure politique à partir de la région occitane qu’elle dirige. Puis on a vu Bernard Cazeneuve, le poulain des sociaux -démocrates pour Matignon, s’aventurer à la rentrée politique du… Modem.
Pour clore le tout, Raphaël Glucksmann vient d’annoncer qu’il allait structurer son parti politique, Place Publique, en vue d’établir un rapport de forces, lors des élections législatives qu’il prévoit en 2025, avant que François Hollande ne lui demande le lendemain de venir rejoindre avec ses troupes le Parti Socialiste pour aider à en évincer le pro-LFI Olivier Faure qui porte ce jour-là une motion de censure, au nom du Nouveau Front Populaire, contre le gouvernement de Michel Barnier.
Que vont retenir les Français de ce charivari ? Par sûr qu’ils y comprennent grand-chose tant les uns et les autres ont pu laisser penser qu’ils étaient animés par des motivations avant tout personnelles. Pendant ce temps, Michel Barnier poursuit sans dévier son bonhomme de chemin et évoque son sens de la responsabilité pour présenter en conseil des ministres un projet de budget qui n’aura pas évolué malgré les critiques. Une forme de sérénité qui pourrait lui profiter davantage que l’embrouillamini de tous les autres.