Le Caillou en chute libre
Occultée par la crise politique française, la situation en Nouvelle-Calédonie est catastrophique. Et la révolte kanak déclenchée par la maladresse macronienne attise les convoitises russes et chinoises…
Le 24 septembre, jour de l’annexion de l’île par la France en 1853, est férié en Nouvelle-Calédonie. Il a été marqué cette année par une bonace relative au cœur de la tempête qui ravage le territoire depuis le 13 mai, veille de l’adoption par l’Assemblée d’un projet de loi constitutionnelle malencontreux, d’initiative exécutive, portant modification du corps électoral pour les élections provinciales de Nouvelle-Calédonie.
Ce vote a foulé aux pieds les équilibres acquis de haute lutte par Rocard en 1988 et Jospin en 1998, après les épisodes sanglants de la fin des années 1980. Ces équilibres reposaient sur trois piliers : l’organisation de référendums interrogeant le Caillou sur ses intentions en matière d’indépendance, l’octroi d’une autonomie croissante, le gel du corps électoral palliant l’effondrement démographique kanak et la mutation du peuplement d’une Nouvelle-Calédonie soumise à l’afflux de populations venues de tout le Pacifique et de France métropolitaine, hostiles aux vues indépendantistes.
Les relations Paris-Nouméa ne sont pas seules en cause. La révolte en cours bénéficie du soutien de partenaires mondiaux opportunistes issus du « sud global », puissamment intéressés au décrochage autonomiste, pour des raisons d’implantation stratégique, de revanche politique, ou de profit minier (le territoire recèle entre 20 et 30% des réserves mondiales de nickel).
La Russie se pose en Nouvelle-Calédonie, comme en Afrique, en puissance émancipatrice, susceptible de libérer les populations du joug colonial de puissances impériales à bout de force et de charisme. L’Azerbaïdjan a créé en 2023 le « Groupe d’initiative de Bakou » voué à la condamnation du colonialisme français, qui sert à la fois la vindicte de Bakou à l’endroit d’un allié de l’Arménie, son implantation dans une zone Pacifique devenue cardinale, et son accès aux richesses du sous-sol calédonien. La Chine, couvée par le président du Congrès de Nouméa, Roch Wamytan, entend pour sa part user de ces richesses pour renforcer ses positions sur le marché de l’automobile électrique, avide consommatrice de nickel.
Le soutien intéressé de ces puissances pousse les revendications de kanaks d’autant plus tentés par la radicalité que la baisse des cours du nickel les appauvrit, tandis que « l’immigration » métropolitaine, essentiellement composée de fonctionnaires, voit ses revenus mieux protégés. L’alliance de défense « AUKUS » qui réunit depuis 2021 USA, Royaume-Uni et Australie, voit d’un très mauvais œil le fléchissement français devant l’alliance russo-chinoise dans la zone, fléchissement qui constitue à ses yeux un symptôme et un risque.
Le ballet olympico-politique de l’été a caché tout cela aux yeux métropolitains mais la situation de la Nouvelle-Calédonie semble devenue immaîtrisable. Il est extrêmement difficile d’y acheminer les ressources nécessaires à la reconstruction des infrastructures détruites (plus de 2 milliards d’euros de dégâts), tout comme de maintenir l’approvisionnement en vivres et en eau potable. Les troupes (gendarmerie mobile, CRS, RAID, GIGN) manquent pour sécuriser un territoire qui a déjà vu mourir treize personnes depuis le début du soulèvement et tomber des centaines de blessés chez les émeutiers mobilisés par la Cellule de coordination des actions de terrain kanak (CCAT), au sein des forces de l’ordre, et au cœur d’une population terrorisée.
Suffira-t-il à Bruno Retailleau de crisper les mâchoires pour que le Caillou demeure dans le giron français et dans la zone d’influence occidentale ? On peut à bon droit en douter…