« Le consentement » : mesure compliquée, solution possible

par Sylvie Pierre-Brossolette |  publié le 27/09/2024

Emmanuel Macron, Didier Migaud le 27 septembre, et de nombreuses féministes se sont prononcés pour l’introduction de la notion de consentement dans le code pénal. Mais d’autres féministes freinent, au nom de l’intérêt des femmes.

Rassemblement féministe en soutien à Gisèle Pelicot et à toutes les victimes de violences sexuelles. (Photo by Anna Margueritat / Hans Lucas via AFP)

A priori, cela tombe sous le sens : pourquoi ne pas faire figurer l’absence de consentement dans la définition légale du viol ? S’il y a viol, en effet, c’est bien parce qu’un individu (féminin ou masculin) a dû accepter des relations sexuelles dont il ne voulait pas. Et pourtant… Cette notion de consentement est curieusement absente du code pénal.

Défini par l’article 22-23, le mot de viol désigne « tout acte de pénétration sexuelle commis par violence, contrainte, menace ou surprise ». Dans une écrasante majorité des cas, les actes sont commis par des hommes. L’enquête doit donc démontrer que ceux-ci ont agi avec « violence, contrainte, menace ou surprise ». La question du consentement de l’autre, généralement la femme, n’est pas citée.

Beaucoup de militantes, et même de responsables, souhaitent donc l’ajouter à la loi, comme une quinzaine de pays l’ont déjà fait. La convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe, qui a créé un cadre juridique complet pour lutter contre les violences faites aux femmes, prévoit que la législation intègre « les facteurs considérés comme exclusifs d’un consentement libre ». La France a ratifié cette convention : elle est sous la pression des élus européens pour s’y conformer. Et le procès des violeurs de Mazan a remis le sujet sur la table, certains accusés prétendant que Gisèle Pélicot était « consentante »…

Faute de réaction face à l’agression sexuelle, comment être certain que la supposée victime n’était pas consentante ? C’est toute la question qui agite des procès pour agression ou pour viol, et le grand argument de défense avancé par les accusés. Quand une femme n’a pas dit non, quand elle ne s’est pas débattue, quand elle s’est même montrée complaisante en apparence, l’auteur des faits a beau jeu de dire qu’il y avait consentement. Or les enquêtes l’ont montré : il arrive, plus souvent qu’on ne croit, que la femme soit tétanisée, sous emprise, en état de sidération, qu’elle n’ose rien dire de peur d’encourir des représailles physiques ou professionnelles. Quand un ministre ou une star de télévision se livre à une agression, la victime en infériorité sociale craint les conséquences de son refus. C’est cette vulnérabilité qui est exploitée par les agresseurs et dont le code pénal ne tient pas compte. Mais si la loi exige le consentement, affirment les réformateurs, l’agresseur devra prouver qu’il s’en était assuré.

Deux objections ont été soulevées, néanmoins. Selon un raisonnement inavoué, à la limite du machisme, les conservateurs craignent une flambée des condamnations. L’ancien Garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti, comme beaucoup de juristes conservateurs, a freiné de toutes ses forces la modification du code actuel. Les machos ne sont pas les seuls à protester. Certains ou certaines progressistes se sont également opposés au changement, à commencer par des associations féministes. Leur crainte : que l’enquête ne se concentre plus sur les actes commis par l’auteur des violences mais s’acharne sur la victime, sommée de prouver qu’elle refusait, en fait, son consentement. Pour ces féministes, le problème réside moins dans l’état du droit que dans son application.

Et, là, tout le monde sera d’accord : porter plainte est un véritable parcours de la combattante. Entrer dans un commissariat est encore un acte héroïque, se faire interroger par des enquêteurs goguenards est une humiliation, subir un classement sans suite est une blessure, passer des heures dans le box de la plaignante vous donne souvent l’impression d’être l’accusée. D’où le silence contraint des victimes et leur réticence à porter l’affaire devant un tribunal. À l’arrivée, on aboutit à 1% de condamnations pour les cent mille viols déclarés par an en France. Problème…

Bien sûr, la réforme du texte ne modifierait pas d’un coup de baguette magique le comportement patriarcal de la chaîne pénale. Pourtant, sans reporter forcément le débat sur la victime, certains ajouts pourraient réunir un consensus. Une solution se dessinait avant l’été, qui consistait à compléter le texte actuel en en y intégrant la notion de consentement, sans en ôter pour autant les quatre mots-clés actuels. Resteraient « violence, contrainte, menace ou surprise », mais serait ajoutée l’idée que le viol est un acte « non consenti ».

Laurence Rossignol, sénatrice socialiste, ancienne ministre de l’égalité entre les femmes et les hommes, propose de faire figurer dans l’article 222-23 une « définition générique du viol, comme étant une relation sexuelle dépourvue de consentement ». Aussi bien, le champ de la contrainte ou de la surprise pourrait être élargi, pour qu’y entrent clairement l’état de sidération, la soumission chimique ou toute situation de vulnérabilité physique, psychique ou sociale contrevenant au consentement nécessaire. La réforme ne règlerait pas tout, loin s’en faut. On peut tout de même espérer qu’elle ferait évoluer la justice, tout en favorisant une prise de conscience générale. Et que le calvaire de Gisèle Pélicot n’aura pas été exposé en vain.

Sylvie Pierre-Brossolette

Sylvie Pierre-Brossolette

Chroniqueuse